Philippe FOLLIOT est intervenu ce mardi 26 novembre, dans l’hémicycle, lors du projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale. Il a détaillé dans son discours, lors de la discussion générale, les insuffisances de cette Loi de Programmation Militaire (LPM) et a regretté le manque de stratégie d’avenir de la France que propose le gouvernement socialiste.
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Monsieur Philippe FOLLIOT. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en incarnant des valeurs chevillées au plus profond de notre nation, l’armée a toujours soutenu et incarné la grandeur de la France, de Valmy à Verdun, de Bir-Hakeim à l’Indochine, en Afrique du nord comme en Kapisa ou, plus récemment, dans le Septentrion malien. Bonaparte, Joffre, Lyautey, Gallieni, Bigeard et, bien entendu, le général de Gaulle : l’histoire de notre pays est jalonnée de grands hommes issus de la communauté militaire, dont la force morale et la capacité de commandement ont forgé notre République. Des poilus du Chemin des dames aux courageux visionnaires de Koufra, les sacrifices et la détermination de nos combattants ont profondément marqué notre histoire. Permettez-moi ainsi de rendre hommage à tous nos hommes présents sur les théâtres extérieurs, du Mali en Afghanistan en passant, entre autres, par le Kosovo, le Liban et, plus récemment, la République centrafricaine. Par leur professionnalisme, leur dévouement, leur sens du devoir et du sacrifice, ils font honneur aux armes de la France.
Les députés du groupe UDI ont soutenu avec constance et détermination l’opération Serval dès son lancement, et nous nous félicitons des actions, exemplaires et admirées, menées par nos militaires dans des conditions souvent très difficiles. Cet engagement de nos troupes, c’est avant tout un engagement de la France pour elle-même mais aussi pour l’Europe, pour la défense de l’intégrité territoriale d’un État allié, pour la démocratie, la liberté et la lutte contre le terrorisme et le fondamentalisme. La famille centriste a toujours placé, au même titre que son attachement à l’Europe, les questions de défense et de sécurité au cœur de ses préoccupations. Nous savons de quoi les militaires sont faits, nous savons ce que l’on peut attendre d’eux. Nous savons que leur mission n’est comparable à nulle autre, car leur engagement peut aboutir in fine au sacrifice suprême, celui de la vie. Ainsi, je tiens à rendre hommage à tous ceux qui, ces derniers mois, sont morts au combat pour la France.
Nous mesurons pleinement la portée des décisions que nous avons à prendre, toujours lourdes de conséquences et parfois irréversibles, et nous savons que nos militaires attendent des responsables politiques exemplarité et soutien. Le projet de loi de programmation militaire dont nous débattons aujourd’hui en est un exemple. Il engage la défense française pour les années 2014 à 2019, mais également bien au-delà. Les décisions qui y sont prises doivent être responsables et ambitieuses. Nous mesurons l’ampleur de la tâche. Si elles sont courageuses et pertinentes, nous les soutiendrons. Si elles se révèlent irresponsables et démagogues, nous les combattrons. N’en déplaise à certains, la France compte encore aujourd’hui parmi les plus puissantes armées du monde. Elle dispose d’une dissuasion nucléaire crédible et indépendante, d’une puissance militaire plus tout à fait globale, qui repose sur la capacité de projection de ses forces, et d’une présence militaire mondiale, à travers ses forces de souveraineté présentes dans les départements et collectivités d’outre-mer, qui sont un incomparable atout géostratégique, trop souvent ignoré ou délaissé. Notre industrie de défense est extrêmement performante et c’est au demeurant l’un de nos secteurs les plus compétitifs à l’exportation – notre quatrième place en la matière en témoigne –, qui contribue à hauteur de plus de 5 milliards d’euros à la balance commerciale du pays. La défense demeure l’ultime garantie de notre intégrité territoriale, métropolitaine et ultramarine, terrestre et maritime. Elle assure notre sécurité ainsi que celle de nos compatriotes expatriés et nous permet de sauvegarder nos intérêts géopolitiques, économiques et humains. Les forces nucléaires et la capacité de projection de nos troupes sont tout particulièrement essentielles pour faire entendre la voix de la France dans le concert des nations et faire respecter nos prises de position jusqu’au cœur du Conseil de sécurité des Nations unies. Mais un modèle reposant sur la seule dissuasion et les forces spéciales n’est pas le nôtre, car contraire aux intérêts majeurs du pays. La force demeurant l’ultima ratio, notre aptitude à défendre nos intérêts au sein de nouveaux rapports de force dépend en grande partie de la polyvalence et de la crédibilité de notre outil militaire. Dans un monde toujours plus instable et dangereux, alors même que l’Europe baisse la garde sur le plan budgétaire et capacitaire et qu’elle peine à faire entendre une voix unie sur la scène internationale, nombreux sont ceux qui s’arment ou se réarment : Chine, Inde, Brésil, Russie, Japon…
L’évolution du contexte géostratégique, l’émergence de nouveaux pôles de puissance économique, démographique, monétaire, diplomatique et militaire, la multiplication des conflits asymétriques, la diversification des menaces – terroristes, conventionnelles ou non conventionnelles, prolifération d’armes de destruction massive, cybercriminalité… – nous invite à adapter en permanence nos concepts stratégiques. Malgré l’accumulation des réformes et les défis suscités par l’évolution stratégique, la sophistication croissante de l’armement, l’augmentation des coûts du maintien en condition opérationnelle, jamais les militaires n’ont failli à leur devoir et ils ont toujours assuré la réussite de leur mission. Doit-on pour autant demander aux armées plus d’efforts qu’aux administrations civiles ? Notre réponse est catégorique : c’est non.
Les centristes ont été les premiers à dénoncer le cancer de la dette qui assèche financièrement notre pays et nos marges de manœuvre. Le paiement des seuls intérêts de la dette représente une fois et demi le budget de la défense ! Le redressement du pays commence donc, certes, par le rétablissement des équilibres financiers. À ce titre, nous tenons à souligner que, bien évidemment, les forces armées mériteront de bénéficier pleinement des marges de manœuvre que le redressement de l’économie et des finances publiques nous redonnera, s’il se concrétise d’ici à la fin du quinquennat. Cependant, la question qui se pose est la suivante : demain, une intervention telle que l’opération Serval sera-t-elle encore possible ? La France sera-t-elle en mesure de continuer à défendre ses valeurs fondamentales ? Nous craignons qu’avec les conséquences de cette loi de programmation militaire, la réponse soit négative. En effet, on demande à nos armées, une fois encore, de continuer à faire mieux mais avec moins, avec un budget tout juste maintenu à son niveau actuel : 31,4 milliards d’euros. Depuis les années soixante, l’effort de défense français est passé de 5 à 1,5 % du PIB. La perspective, du reste, est de 1,3 % d’ici à 2019. On le voit, l’incohérence entre ambitions stratégiques et contraintes budgétaires est flagrante. S’il est vrai que des avancées sont perceptibles dans les domaines de la cyber-défense, de la cyber-sécurité et du renseignement, nous constatons qu’aucun choix réel et marquant n’a été fait sur des sujets clés tels que les forces nucléaires, notamment la deuxième composante aéroportée, la prévention des conflits, l’OTAN, l’Europe de la défense, ou encore les entreprises privées de sécurité et de défense. De plus, l’importance stratégique de l’océan Indien et du Pacifique, qui regroupent 90 % de notre zone économique exclusive, n’est pas suffisamment prise en compte. Nous sommes tous ici conscients des contraintes très fortes qui pèsent sur le budget de la défense, dans un contexte difficile de redressement des finances publiques. Un effort très important a d’ailleurs déjà été consenti par la défense dès le budget 2013, et notre armée contribue, et plus qu’à proportion, depuis plusieurs années, à l’effort de réduction des déficits. Elle a de surcroît dû supporter en même temps l’échec du logiciel Louvois et la difficile mise en œuvre de la réforme des bases de défense. Sans compter des conditions de préparation des forces toujours plus contraintes et des matériels bien souvent indisponibles. Dans ce contexte, les nouvelles mesures proposées à partir de 2014 nous paraissent déraisonnables, excessives et terriblement menaçantes. En effet, le niveau du budget sur cinq ans n’est pas à la hauteur, et cela touchera inéluctablement les unités opérationnelles, d’autant plus que les incertitudes entourant ce budget sont fortes. Le Gouvernement espère plus de 6 milliards d’euros de recettes exceptionnelles, particulièrement aléatoires. Je ne reviendrai pas, après le rapporteur pour avis Jean Launay, sur les emprises immobilières ou les ventes de fréquences. En outre, les exportations de Rafale restent à ce jour hypothétiques pour 2016. Notre modèle de programmation militaire risque d’être remis en cause. Cette loi de programmation est même presque caduque avant d’avoir été votée du fait de la triste habitude du report de charges : 3 milliards d’euros qui pèseront dès l’année prochaine sur la défense. En outre, au-delà des 45 000 suppressions de postes déjà effectuées, les 34 000 supplémentaires ne feront qu’aggraver le problème. Près de 60 % des futures baisses d’effectifs de la fonction publique sont supportées par la seule défense nationale.
C’est une réalité qui mine nos militaires. Monsieur le ministre, le moral des armées n’est pas bon, certes à l’image de celui des Français. Aujourd’hui prévaut un sentiment d’injustice dans la communauté militaire, qui constate que la défense, qui a subi le choc de la professionnalisation et multiplié les efforts de rationalisation, tout en assumant ses missions de façon exemplaire, ne compte pourtant pas parmi les priorités budgétaires de ce gouvernement, contrairement à l’éducation, la sécurité ou la justice. Si vous décidez de maintenir les suppressions d’unités combattantes prévues dans la loi de programmation, évitez au moins de faire subir à nos hommes un supplice chinois, et informez au plus vite les unités victimes de restructuration. Ainsi, les personnels militaires et civils pourront se préparer au mieux à leur changement de situation, les délais légaux étant d’un an pour les premiers et de deux ans pour les seconds. La baisse des objectifs opérationnels et des niveaux de livraison de matériel aura de lourdes conséquences économiques et sociales. Il y a là aussi un hiatus évident entre la puissance proposée et la puissance assumée. Cette loi de programmation militaire pour 2014-2019 marque ainsi, de fait, l’affaiblissement de notre outil de défense. Nos forces armées sont à l’image d’une France engoncée dans ses incertitudes stratégiques, reléguée au rang de puissance moyenne, incapable d’inciter ses partenaires européens à incarner une Europe puissante, capable tout au plus de quelques incursions sahélo-sahariennes. Elle n’est plus forcément en mesure de tenir un conflit de haute intensité loin de nos bases contre un ennemi bien équipé et déterminé. Pourtant, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, la France devrait au contraire demeurer, de par sa dimension ultramarine, une puissance globale et mondialisée. Ces constats conduisent à une conclusion simple : la défense de l’intérêt national doit également passer, à l’avenir, par la mise en place d’une défense européenne crédible. Dès lors, nous souhaitons qu’émergent de nouvelles coopérations dans ce domaine, car le projet européen, cher à notre cœur, n’a de justification et de légitimité que dans une volonté d’assurer sa défense de manière forte et autonome.
Sur ce point, nous voulons tenir là encore un discours de vérité. On ne peut nier les difficultés que rencontre l’Union européenne à défendre une vision commune sur le plan diplomatique et militaire, comme le met en lumière l’incapacité de se mobiliser sur le dossier sahélien, ou comme ce fut le cas lors du conflit libyen, et ce en dépit des avancées institutionnelles introduites par le traité de Lisbonne. En effet, il est parfois difficile de partager une vision commune de nos intérêts géostratégiques, et les impératifs sécuritaires ne revêtent pas la même importance pour tous nos partenaires. La disparité des budgets militaires constatée au sein de l’Union en est la meilleure preuve. Il nous apparaît donc indispensable de travailler activement au renforcement de notre coopération en matière de défense, notamment en dotant l’Europe de moyens financiers à travers un budget dédié exclusivement à la politique de sécurité et de défense commune, notamment en vue du financement de manière solidaire des OPEX, où la France se retrouve souvent seule à être nation cadre, et des autres opérations militaires et civilo-militaires menées actuellement au nom de l’Union européenne. La mise en commun des moyens technologiques et des capacités industrielles à l’échelle européenne conduirait également, de manière certaine, à la formation d’un ensemble pertinent, puissant, pouvant permettre à l’UE et à ses États membres d’occuper une place prépondérante sur la scène internationale. Ce serait sans nul doute un moyen pour la France de mettre en œuvre des économies réfléchies et pertinentes, en concertation avec ses partenaires, alors même que les États-Unis semblent de moins en moins vouloir, et pouvoir, assumer seuls le coût de la défense collective du continent. N’oublions pas non plus que la France a une place singulière dans le monde, où elle est présente sur trois océans et quatre continents, grâce aux DOM-COM et à ses territoires ultramarins, qui nous offrent, avec 11 millions de kilomètres carrés, le second domaine maritime mondial. Nous devons donc impérativement préserver les effectifs présents dans les outre-mer, car la souveraineté sur nos territoires comme sur nos zones économiques exclusives exige que nous les défendions. Enfin, je tiens à souligner que le lien armées-nation doit plus que jamais être consolidé par les réserves opérationnelles et citoyennes, qui constituent un outil formidable pour créer des liens entre civils et militaires. Nous devons également souligner le rôle majeur des forces armées dans la promotion sociale, qu’il faut sans cesse renforcer, notamment à travers ses liens avec la jeunesse. Nous devons impérativement garder à l’esprit le rôle fondamental d’ascenseur social que joue la défense, premier recruteur de jeunes non diplômés. Enfin, le lien armées-nation ne s’arrêtant pas aux seuls « actifs », nous devons renouer un dialogue constructif et respectueux avec les associations patriotiques et d’anciens combattants, et mieux associer la jeunesse aux commémorations nationales. Mes chers collègues, je dirai pour conclure que les députés du groupe UDI considèrent que, sur ce sujet crucial pour la France qu’est notre politique de défense, il eût été nécessaire de parvenir à un consensus national. Nous attendions du chef de l’État qu’il définisse une véritable ambition nationale et européenne. Une stratégie cohérente doit être mise en place pour notre défense, de manière stable, avec une visibilité sur le moyen et le long termes, alors que cette loi de programmation militaire ne se projette réellement que sur cinq ans – et encore ! Les députés du groupe UDI ne voient malheureusement pas, dans cette loi de programmation militaire, la stratégie d’avenir de la France qu’elle devrait pourtant mettre en exergue. Nous appelons par conséquent le Gouvernement à faire de la défense la priorité régalienne qu’elle devrait être et qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être. Il y va non seulement de la sécurité de notre pays et de chaque Française et Français, mais aussi, in fine, de la grandeur et du rayonnement de la France.