Avec le projet de loi de finances pour 2015, la commission de la défense a un agenda très chargé en terme d’auditions durant le mois d’octobre. Pour la préparation du budget de la défense pour 2015, les membres de la commission auditionnent l’ensemble des responsables civils et militaires du ministère de la défense. C’est dans cet objectif que Philippe FOLLIOT, secrétaire de cette commission, a pu auditionner Monsieur Jean-Yves Le DRIAN, Ministre de La Défense, Monsieur Kader ARIF, Ministre des Anciens combattants, le Général Pierre de VILLIERS, Chef d’État-major des Armées ou encore le Général Denis FAVIER, Directeur Général de la Gendarmerie Nationale.
Vous pouvez lire ci-dessous la transcription des auditions mentionnées ci-dessus :
Audition de M. Jean Yves Le DRIAN, Ministre de la Défense, sur le projet de loi de finances pour 2015, 1er octobre 2014.
Monsieur Philippe FOLLIOT. S’agissant des recettes exceptionnelles, à chaque cession d’une partie du capital des entreprises de défense, c’est un peu les bijoux de famille que nous vendrons. Ces cessions seront des dividendes en moins pour l’avenir. Répondront-elles à une stratégie industrielle nationale ou européenne ou bien à une logique de culbute financière ? L’an passé, vous nous avez affirmé que l’exportation des Rafale constituait un élément majeur de la trajectoire financière de la LPM. Vous aviez indiqué le quatrième trimestre 2015 comme date limite de signature d’un contrat. Pouvez-vous nous rassurer ?
Monsieur Jean-Yves Le DRIAN, Ministre de la Défense. Pour ce qui est de la vente des Rafale, je reste optimiste. Le Rafale est en négociation exclusive avec l’Inde aujourd’hui et le nouveau gouvernement n’a pas remis en cause l’objectif de renouvellement rapide de l’aviation de chasse indienne. Je reste donc confiant. De même, les négociations avec le Qatar suivent normalement leur cours. Notons que la participation du Rafale aux opérations au Mali et au Moyen Orient contribue à mieux le faire connaître. La qualité de nos interventions donne des résultats en matière d’exportation de nos équipements.
Monsieur Philippe FOLLIOT. Pouvez-vous revenir sur la livraison des porte-hélicoptères Mistral à la Russie : leur suspension ne risque-t-elle pas de nuire à notre crédibilité ? Monsieur le ministre. Le président de la République reste vigilant s’agissant de la livraison des BPC, car la sécurité de l’Europe, c’est-à-dire la nôtre, est en jeu. Si l’intervention russe en Ukraine continuait à traduire une politique qui menace notre sécurité, chacun comprendrait que nous ne livrions pas d’armes pour nous battre un jour avec. Nos interlocuteurs l’ont bien compris. Il convient en outre de prendre en considération les inquiétudes de nos partenaires au sein de l’Union européenne situés à l’est. Ce que nous avons fait par exemple en Pologne, en y déployant des Rafale.
Audition de Monsieur Kader ARIF, Secrétaire d’État aux Anciens combattants et à la mémoire, sur le projet de loi de finances pour 2015, 1er octobre 2015.
Monsieur Philippe FOLLIOT. Les commémorations sont, en effet, des moments importants quand, dans notre société, les valeurs collectives passent souvent au second plan. Si le problème des orphelins et pupilles de la Seconde Guerre mondiale se pose effectivement en termes financiers, cela ne doit pas occulter pour autant le sentiment d’injustice qui s’y rattache. Dans le soutien aux blessés de guerre, le travail d’accompagnement que vous menez est essentiel. Alors que l’engagement militaire peut se conclure par le sacrifice suprême de la vie ou l’état de grand blessé, la présence sur place du service de santé des armées, le rapatriement et la rééducation dans les hôpitaux militaires doivent être préservés à tout prix. La décristallisation des pensions a entraîné des situations curieuses. On a ainsi constaté, dans certains pays, des cas d’espérance de vie défiant les lois statistiques ou la célébration de mariages entre des hommes très âgés et de très jeunes filles. Le Gouvernement a-t-il spécifiquement contrôlé ces phénomènes, sachant que quelques abus sont susceptibles de jeter l’opprobre sur un système légitime ? Une réflexion est-elle en cours s’agissant du maillage territorial ? De fait, avec la diminution du nombre d’anciens combattants, moins il y aura d’effectifs par implantation et plus la question de l’opportunité de maintenir ces implantations se fera pressante. Dans le domaine mémoriel, l’association Le Souvenir français accomplit sur le terrain un travail exceptionnel, grâce à de nombreux bénévoles. Bénéficie-t-elle de soutiens de votre ministère ? Enfin, puisque vous voulez favoriser le tourisme mémoriel, permettez-moi de rappeler à votre bon souvenir le mémorial national et la maison du combattant de Montredon-Labessonié, pour lesquels nous n’aurions besoin que de quelques dizaines de milliers d’euros.
Monsieur Kader ARIF, Secrétaire d’État en charge des anciens combattants. Monsieur FOLLIOT, je comprends que vous dénonciez une injustice. Mais si être orphelin de guerre est une douleur, cela vaut pour toutes les guerres. La question n’est certes pas uniquement d’ordre budgétaire, mais il est illusoire de croire que les revendications s’arrêteront à la Seconde Guerre mondiale. L’an dernier, nous avons prolongé d’un an la date limite de dépôt des demandes de révision des pensions décristallisées à la demande des pays concernés, en particulier du Maroc, ce qui a représenté un coût de 12 millions d’euros. Les personnes qui n’en bénéficient pas encore ont jusqu’au 31 décembre 2014 pour déposer leur demande. Aujourd’hui, sur 8 400 dossiers traités par la sous-direction des pensions de La Rochelle, 44 % concernent des ressortissants marocains et un peu moins des Algériens. S’agissant des abus, le service des pensions n’augmente pas le montant versé en cas de remariage, car l’indemnité reversée est fonction du nombre d’années passées en couple dans le cadre d’un mariage certifié officiel. Ainsi, la première épouse ne se retrouve pas totalement dépossédée de toute ressource lorsque son époux se remarie avec une deuxième ou une troisième femme, d’autant qu’avec la décristallisation, les sommes versées sont importantes au regard du coût de la vie dans les pays africains. Ces questions ont été abordées dans le détail au cours d’une réunion à Rabat. Nous travaillons avec le Souvenir français tant sur le plan national que local : le contrôleur général Delbauffe est en contact permanent avec mon cabinet et avec moi-même. J’ai décidé de porter l’indemnité d’entretien des sépultures de guerre qui bénéficie à cette association, comme aux communes à qui l’État confie cet entretien, de 1,22 à 1,50 euro par stèle ou par tombe, somme qui n’avait jamais été augmentée depuis 1980. Ce sont les OPEX qui vont faire perdurer la mémoire combattante collective, puisque les anciens d’Algérie, qui représentent aujourd’hui le plus gros des effectifs, sont en train de disparaître – le plus jeune d’entre eux a soixante-quinze ans. En outre, savoir qu’il y a une prise en charge médicale et psychologique ainsi que la retraite du combattant pour les soldats ayant servi en OPEX peut convaincre de l’attrait de s’engager dans l’armée lorsque l’on souhaite servir le pays.
Monsieur Kader ARIF, Secrétaire d’État en charge des anciens combattants. La question s’est également posée de savoir s’il ne fallait conserver qu’une seule journée de commémoration, comme cela se fait dans d’autres pays. À titre personnel, je ne suis pas certain que ce soit là la meilleure solution.
Monsieur Philippe FOLLIOT. Dans nombre de petits villages de ma circonscription, une seule cérémonie est organisée le jour de la fête de village, si bien que l’affluence y est importante. Quel que soit le jour de l’année retenu, l’important c’est qu’il y ait du monde et que chacun puisse se souvenir.
Audition du Général Pierre de VILLIERS, Chef d’état-major des armées, sur le projet de loi de finances pour 2015, 7 octobre 2014.
Monsieur Philippe FOLLIOT. « Il n’est de richesse que d’hommes. » Cette maxime s’applique particulièrement bien à la Défense nationale. Nous ne pouvons que louer, comme vous l’avez fait, la qualité et le sens de l’engagement et du devoir de l’ensemble de nos militaires. Vous avez également souligné, mon général, l’effort consenti pour la réduction des déficits publics. Dorénavant, la Défense supporte à elle seule 66 % des baisses d’effectifs de la fonction publique d’État. Nous sommes au muscle, dites-vous comme vos trois prédécesseurs. Pour filer la métaphore, je pense que nous ne sommes même plus à l’os : nous arrivons à la moelle ! Dans ce contexte, la déflation des effectifs ne restera pas sans conséquence. Aucune décision n’étant prise s’agissant de fermetures d’unités, on s’achemine, pour respecter la LPM, vers des rebasages qui feraient passer uniformément les régiments de 1 000 à 870 hommes. Cette architecture vous semble-t-elle opérationnelle à moyen et long terme ?
Général Pierre de VILLIERS, Chef d’état-major des armées. Les mesures concernant les effectifs, monsieur Folliot, seront « cousues main ». Les régiments ayant été dépossédés de leur soutien, il ne faut pas descendre en deçà d’une taille critique. C’est tout le débat : faut-il dissoudre des régiments pour procéder à des rassemblements ou les maintenir en supprimant des compagnies ? De ce que je peux observer, je conclus qu’il vaut mieux rassembler et aller vers des structures bataillonnaires plutôt que de diminuer la taille des régiments.
Audition du Général Denis FAVIER, Directeur général de la gendarmerie nationale, sur le projet de loi de finances pour 2015, 8 octobre 2014
Monsieur Philippe FOLLIOT. L’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme ne restera pas sans impact. Depuis la loi du 3 août 2009 relative à la gendarmerie nationale, celle-ci se trouve dans une situation particulière, puisqu’elle constitue une force militaire rattachée au ministère de l’Intérieur. J’avais à l’époque émis quelques doutes sur ce rattachement. À mon sens, l’équilibre démocratique commande que deux forces continuent à coexister, l’une civile et syndiquée, l’autre militaire et soumise aux contraintes inhérentes à cette condition. Car nous sommes attachés à la militarité de la gendarmerie. La levée de la mise en réserve pose des questions quant à l’acquisition de véhicules automobiles. Régi par les règles applicables à tous les marchés publics, l’achat de véhicules conduit souvent, ailleurs en Europe, à se tourner finalement vers les producteurs nationaux, ce qui n’est pas toujours le cas en France. Nos concitoyens sont très sensibles à ce type de problématique. Comme rapporteur pour avis il y a une dizaine d’années, j’avais constaté que la capacité des blindés de la gendarmerie était « au bout du rouleau ». À l’époque, le taux de disponibilité s’élevait à seulement 40 %. Quel est-il aujourd’hui ? Quant à l’immobilier, il constitue en quelque sorte le système d’armes de la gendarmerie. Or il souffre de sous-investissement chronique depuis longtemps. Dans le secteur du logement social où j’ai travaillé, un bailleur n’oserait pas proposer à des locataires des logements tels que la gendarmerie en occupe parfois. Dans des zones de montagne reculées et peu attractives, l’immobilier dégradé ajoute encore aux difficultés de recrutement.
Général Denis FAVIER, Directeur général de la gendarmerie nationale. Concernant les questions relatives aux moyens, lors de mon audition de l’an dernier, la configuration était différente, car la mise en réserve n’était pas encore intervenue. Pour 2015, nous savons qu’elle sera importante, puisqu’elle portera sur 8 % des crédits hors titre 2. Cela pose de sérieuses difficultés, car il n’est de ce fait pas possible de bâtir en début d’année une politique sérieuse et équilibrée d’acquisition des matériels, qu’il s’agisse des ordinateurs ou des véhicules. Cette situation affecte le moral des personnels, engendre de la morosité. En outre, les négociations constantes avec les services de Bercy représentent une dépense d’énergie soutenue. Pour 2015, une levée de la mise en réserve dès le début de l’année sera recherchée, en vue de bâtir une véritable politique d’acquisition des matériels. Le parc automobile compte environ 30 000 véhicules. Pour le renouveler, il faudrait acheter 3 000 véhicules chaque année. Mais 1 250 seulement ont pu être acquis en 2013 et 1 400 en 2014. Pour 2015, il est prévu d’en acquérir 2 000. Par conséquent, le parc vieillit et se dégrade, sa moyenne d’âge s’établissant entre sept et huit ans, avec un kilométrage moyen de 175 000 kilomètres. Je me rends compte du problème lorsque je visite les groupements, à raison d’un par semaine. Le véhicule fait partie de notre système d’armes. L’état actuel du parc altère notre capacité opérationnelle. J’étudie donc les possibilités d’externaliser la gestion de la flotte ou de procéder par location de véhicules. S’agissant des acquisitions de matériel d’occasion, cela ne peut concerner qu’une flotte limitée à des véhicules banalisés. Une étude est en cours sur l’externalisation de la flotte. Un rapport intermédiaire a fait état de conclusions très mitigées. Mais les travaux ne sont pas encore clos. Quant aux blindés, ils sont certes très utiles, mais sont loin d’être utilisés tous les jours, à l’exception de l’outre-mer, où ils sont plus souvent engagés. Ils datent de 1975 et sont maintenus en état de marche à bout de bras par des mécaniciens astucieux qui vont aux limites des possibilités. La priorité d’achat va néanmoins aux véhicules de brigade, qui causent le plus de souci. La création de 162 postes va de pair avec des transferts de programme à programme qui porte le gain effectif à 48 ETPT. Une fois les transferts réalisés, il y a donc bien création nette. En matière de coopération avec la SNCF, il faut souligner que cette société dispose déjà de son service de « sécurité ». Toutefois des gendarmes montent à bord des trains pour compléter l’action de la SNCF. À l’avenir, je souhaite que les gendarmes ainsi mobilisés soient principalement des réservistes, afin de permettre aux gendarmes d’active d’être plus présents sur d’autres missions. La gendarmerie poursuit une politique de fidélisation des effectifs. Il est rare que les personnels la quittent, car ils peuvent compter sur des carrières longues où leurs aspirations sont prises en compte. En 2015, elle recrutera 3 000 sous-officiers et 6 000 gendarmes adjoints volontaires. La dynamique de recrutement est plutôt porteuse, car les candidats sont nombreux. Chez les sous-officiers, le ratio est de un poste pour dix candidats. Si le métier présente de l’intérêt, cela n’empêche pas des problèmes d’angoisse au travail. Un dispositif de prévention des risques psychosociaux est en place. Le taux de suicides dans la gendarmerie est comparable à la moyenne nationale. De manière générale, les personnels donnent plutôt l’impression de s’épanouir en gendarmerie. Le moral est bon, mais les gendarmes sont lucides et veulent principalement les moyens de travailler – voitures, carburant, moyens de télécommunication et informatique. Comme acteurs de la sécurité de leur pays, ils savent faire preuve d’abnégation. Je leur demande beaucoup et ils donnent beaucoup comme actuellement dans le cadre des plans de lutte contre le cambriolage, le vol de véhicules, ou encore vis-à-vis des problèmes de délinquance qui touchent le monde agricole. Quant à la concertation, il ne me semble pas utile d’aller au-delà du dispositif actuel. La loi du 3 août 2009 a rattaché la gendarmerie au ministère de l’Intérieur. Cela a permis de dégager de réelles marges de manœuvre, tout en consacrant le caractère militaire de la force, y provoquant même un sursaut identitaire. La gendarmerie s’est ainsi affermie sur ses bases. Aucune incompatibilité ne s’est faite jour, de telle sorte que le rattachement ne semble pas réversible, car la mécanique fonctionne bien. La coexistence de deux forces de police distinctes au sein d’un même ministère n’est pas contestée par l’autorité politique, de quelque bord qu’elle soit.
À propos des règles qui régissent l’acquisition des véhicules, elles respectent les conditions du code des marchés publics, mais n’empêchent pas le choix de se porter, en 2013 et 2014, notamment sur des véhicules Peugeot Expert, de fabrication française.