Lettre d’information n°146 du vendredi 25 septembre 2015
Il a suffi d’une photo choc, celle du petit Aylan, échoué sur les plages turques, pour que certaines consciences se réveillent et qu’il y ait une nouvelle prise de conscience de l’épineux problème des migrations. Au-delà de la « dictature de l’émotion » et du prisme médiatique, qui nous fait réagir plutôt qu’agir, nous devons comprendre que les déplacements de populations sont un des enjeux majeurs du XXIème siècle et un facteur risque essentiel pour la paix et la stabilité dans le monde.
Si la communauté internationale n’agit pas, ce sont des troubles importants, la guerre généralisée voire la fin d’une civilisation qui nous guettent. Ces déplacements de populations sont de trois ordres (économique, environnemental et politique) et il est important de ne pas les mélanger car de natures différentes, même si, parfois, ils peuvent hélas se regrouper dans un pays pauvre en proie à la guerre et aux dérèglements climatiques.
Les déplacements économiques et sociaux ont toujours existé. Un « ventre vide » sans perspectives chez lui a toujours la tentation d’aller ailleurs pour espérer y trouver une vie meilleure. Cela n’est pas nouveau, et l’Europe, terre d’émigration (l’Irlande a perdu près de la moitié de sa population à la fin du XIXème siècle) a connu des migrations intérieures (polonais, italiens ou portugais en France par exemple) avant de devenir terre d’immigration, accueillant principalement des populations d’Afrique du Nord et subsaharienne. La France (comme l’Europe) « ne pouvant accueillir toute la misère du monde », celle-ci doit être contrôlée, coordonnée, voulue et non pas subie.
Les déplacés environnementaux risquent de devenir de plus en plus nombreux, par les effets induits du dérèglement climatique qui feront que, face à la montée des eaux, aux facteurs extrêmes (tempêtes, cyclones, grosses inondations…), de plus en plus de personnes se déplaceront tout simplement parce qu’elles ne pourront plus vivre chez elles. La prochaine COP 21 à Paris ne manquera pas d’aborder cette question mais ayons conscience des effets d’inertie en la matière. Les mesures que nous prendrons dès aujourd’hui n’auront un effet tangible et perceptible que dans cinquante ans. La responsabilité vis-à-vis des générations futures est que nous devons tous travailler pour limiter autant que possible les effets en ayant conscience que les efforts que nous ferons ici seront vains s’ils ne sont pas partagés par les gros pollueurs de la planète (Etats-Unis, Chine, Inde en tête). Seule une réponse internationale permettra de régler cette question par définition transnationale.
Enfin, il y a les déplacés politiques, les réfugiés qui fuient la guerre, celles et ceux qui sont menacés de mort dans leur propre pays pour des raisons religieuses, ethniques, politiques… voire les trois à la fois ! Notre monde est complexe et tourmenté, et l’instabilité ou la guerre aux portes de notre « vieux continent » nous impacte très directement. Il faut avoir en souvenir que l’Occident paye aussi ses inconséquences du passé (intervention américaine en Irak et déstabilisation de la Lybie), qui ont ouvert un boulevard aux extrémistes.
Je vais être clair et sans ambiguïté, la France a toujours été, depuis les Lumières, une terre d’asile, et selon moi elle doit, plus que jamais, le rester. Cette tradition d’accueil des réfugiés républicains espagnols aux dissidents soviétiques, en passant par les démocrates intellectuels ou écrivains, sans parler, parce que c’est de nature différente, des rapatriés d’Afrique du Nord même si elle n’a pas toujours été exemplaire loin de là (pour les harkis notamment), elle nous honore.
Il faut réformer le droit d’asile pour un traitement plus rapide et efficace des demandes mais il ne faut surtout pas l’abandonner. Oui, nous devons faire preuve de plus d’humanité et de solidarité, notamment vis-à-vis de ceux qui fuient l’avancée de Daech en Irak et en Syrie. Mardi 15 septembre, je rappelais qu’en proportion, si nous avions le même nombre de réfugiés que le Liban, par exemple, cela ferait plus de quinze millions de personnes à accueillir en France, rendant les polémiques autour des 24 000 d’autant plus dérisoires.
Au-delà des sentiments racistes et simplistes que certains flattent grossièrement et qui, du reste, ont pour conséquence, in fine, de stigmatiser celui qui est « différent » même s’il est français de souche depuis très longtemps (la Martinique a été française bien avant Nice) ou parce qu’ils le sont ou le resteront (émigrés de deuxième ou troisième génération). Ce qui me navre, c’est l’image renvoyée de notre pays. J’ai été consterné de voir que, quand on interroge les réfugiés venant d’Irak et surtout de Syrie (pays partiellement francophone, anciens protectorats français !), 99% disent vouloir aller en Allemagne ou en Angleterre plutôt qu’en France. Notre pays ne ferait plus rêver ! Je trouve franchement cela assez triste et, à celles et ceux qui veulent une France repliée, renfermée, isolée, je devrais même dire triste et rabougrie, et bien moi je l’aime quand elle est ouverte, dynamique, gagnante, quand elle est belle et donne envie. Il nous appartient d’agir pour cela comme il nous appartient de reconstruire l’Europe car nous voyons, avec cette crise, que c’est à cette seule condition et à cette échelle européenne que nous trouverons des solutions.
Amitiés
Philippe FOLLIOT