En vue de l’examen du budget de l’Outre-mer à l’Assemblée nationale mercredi 4 novembre, Philippe Folliot avait déposé une série d’amendements visant à renforcer la présence de la France et sa souveraineté sur les îlots inhabités de la République. La démonstration portée par le député du Tarn reprend un des propos de son livre France-sur-Mer, un empire oublié: les territoires français d’outre-mer donnent à la France un domaine maritime considérable (le deuxième du monde) et une position géopolitique avantageuse (présence sur les trois océans et quatre continents) dont l’Etat doit savoir tirer profit dans le cadre d’une politique maritime intégrée digne de ce nom. Il s’agit aussi de défendre ces possessions et nos intérêts économiques et écologiques contre des pressions diplomatiques et certaines revendications étrangères.
Philippe Folliot a su déclencher l’intérêt de ses collègues, sur tous les bancs, sur cette question rarement abordée dans l’hémicycle. Sans parler de Marie-Luce Penchard, Secrétaire d’Etat à l’Outre-mer, qui a annoncé son intention de se rendre sur ces territoires français, une première depuis plus de 50 ans! La cause de France-sur-Mer avance…
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M. le président. Je suis saisi de quatre amendements, nos 83, 84, 85 et 86, qui peuvent faire l’objet d’une présentation commune.
La parole est à M. Philippe Folliot.
M. Philippe Folliot. La France est une puissance maritime, mais ce n’est pas une nation maritime. J’ai eu l’occasion, ces derniers mois et ces dernières semaines, de réfléchir à cette question : si notre dimension ultramarine est connue et reconnue, au travers de ses départements et collectivités d’outre-mer, elle l’est assurément moins au travers de ses territoires. Ces amendements s’inscrivent dans le droit fil de ce que disait le chef d’état-major de la marine nationale, l’amiral Forissier : « La mer n’appartient qu’à ceux qui s’en servent. » Il en est de même pour les territoires. La notion de souveraineté n’est pas quelque chose d’acquis de manière définitive, et il y a lieu de la préserver.
J’ai donc proposé une série d’amendements visant à traiter de la situation spécifique de certains îlots qui font partie des îles Éparses ou des Terres australes, ou, dans le Pacifique Nord, de l’îlot de Clipperton. Leur statut juridique est un peu particulier : ce ne sont ni des départements ni des collectivités. Ils sont rattachés ou, comme dans le cas de Clipperton, gérés par un établissement public. Nous devons réfléchir à la situation spécifique de ces parties de notre territoire national, qui sont non seulement inhabitées mais, parfois, revendiquées par des pays voisins ou riverains.
Tel est, par exemple, le cas de Clipperton. Si cet îlot représente une superficie limitée de 2 kilomètres carrés, il offre à notre pays 440 000 kilomètres carrés de zone économique exclusive. Pour donner un ordre d’idées, je rappellerai que la zone économique exclusive de la métropole, Corse incluse, est de 345 000 kilomètres carrés. Envoyer à Clipperton, une fois par an, un bâtiment de la marine nationale pour changer le drapeau qu’on y a planté n’est pas la seule façon d’asseoir de manière pérenne la souveraineté sur cet îlot. À l’heure où nous envoyons des hommes dans l’espace et où nous avons un projet de station orbitale internationale, on peut se demander si, à l’identique de ce qui se fait dans certaines des îles Éparses, notamment Europa, les Glorieuses ou Juan-de-Nova, il ne serait pas opportun d’envisager une présence permanente à Clipperton. L’îlot fut habité au début du xxe siècle et Jean-Louis Étienne – qui du reste est un Tarnais, originaire de Castres – a mené une expédition scientifique et a démontré qu’il y avait possibilité d’y vivre ; ce serait pour nous la meilleure façon de montrer au Mexique qui revendique non seulement Clipperton mais la zone économique exclusive adjacente que la République française tient à conserver ce territoire en son sein. Cela pourrait se faire par la présence de quelques militaires, de scientifiques, voire de gendarmes, comme c’est le cas sur les îles Éparses.
Ce raisonnement peut être repris, à peu de choses près, pour l’île Saint-Paul, dans les Terres australes et antarctiques françaises, qui, avec l’île voisine d’Amsterdam, valent à la France une zone économique exclusive de 506 000 kilomètres carrés ; pour l’île Tromelin, dans les îles Éparses, qui représente une ZEE de 280 000 kilomètres carrés ; ou pour l’île de Bassas-da-India dont la situation est certes un peu particulière puisqu’elle est en grande partie recouverte à marée haute, mais qui offre à la France une ZEE de 123 700 kilomètres carrés.
Le sujet est important, sinon essentiel. La France est forte de ses départements, collectivités et territoires d’outre-mer. Ils sont une chance pour notre pays.
Comme plusieurs l’ont dit – je remercie plus particulièrement notre collègue Annick Girardin, qui a fait allusion à quelques-uns de mes écrits –, il s’agit d’une question importante et essentielle pour notre République, qui reste une et indivisible, y compris lorsqu’il s’agit de notre souveraineté sur ces îlots.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jérôme Cahuzac, rapporteur. La commission n’a pas examiné ces amendements ; elle le regrette d’ailleurs vivement.
M. Jean-Christophe Lagarde. Que fait-elle donc ?
M. Jérôme Cahuzac, rapporteur. À titre personnel, je ne puis malheureusement qu’appeler à les rejeter. J’emploie l’adverbe « malheureusement » car les propos de notre collègue m’ont rappelé la célèbre phrase de Georges Leygue, dont je suis ainsi un lointain successeur en tant que député du Villeneuvois mais auquel je ne risque pas de succéder en tant que ministre de la marine, puisqu’il n’existe plus de ministère de la marine. Toujours est-il que Georges Leygue fut un très grand ministre de la marine, et il affirmait : « Qui tient la mer tient le commerce, et qui tient le commerce tient le monde. »
Avez-vous donc l’intention, mon cher collègue, d’établir des comptoirs commerciaux sur ces îlots ? Je ne le crois tout de même pas. Il est vrai que se souvenir que ces territoires sont partie intégrante de la nation uniquement pour y changer le drapeau une fois par an peut décevoir. De là à y assurer une présence permanente… Avouez que la tâche est difficile à accomplir de manière pleinement satisfaisante, surtout pour Bassas da India, intégralement recouverte à marée haute !
Quoi qu’il en soit, et puisqu’il faut donner une raison, je note que, comme celui de votre collègue Aly, vos amendements tendent, monsieur Folliot, à déplacer des crédits destinés à payer les dettes de l’État à la sécurité sociale. Cela suffit pour que, nonobstant leur romantisme, auquel nous avons tous été sensibles, j’appelle à les rejeter.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, secrétaire d’État. Vous avez raison, monsieur le député, d’aborder la question des terres australes et antarctiques françaises.
M. Jean-Marc Roubaud. Cela commence bien !
Mme Marie-Luce Penchard, secrétaire d’État. Au moment où la France aborde l’année de la biodiversité, on voit tout l’intérêt de préserver ces territoires à l’extraordinaire richesse naturelle. Vous savez d’ailleurs à quel point j’y suis attachée.
J’ai eu l’occasion de participer à un colloque sur les îles Éparses et j’ai très clairement posé la question de la souveraineté de ces territoires au ministre de la défense, M. Hervé Morin. Il m’a annoncé, s’agissant plus particulièrement des îles Glorieuses, qu’il allait y assurer une présence militaire de nature à garantir la souveraineté française.
Le secrétariat d’État à l’outre-mer, en lien avec le secrétariat d’État à l’écologie et le ministère de la défense, est donc très soucieux de la préservation de ces territoires et se donnera les moyens d’assurer la souveraineté française. Sachez que j’envisage moi-même de m’y rendre (Sourires), …
M. Jean-Christophe Lagarde. Faites attention à Bassas da India ! Prenez un horaire des marées ! (Rires.)
Mme Marie-Luce Penchard, secrétaire d’État. Cela fait plus de cinquante ans qu’aucun ministre n’y est allé et que bon nombre de nos compatriotes de l’hexagone et de l’outre-mer ne connaissent pas ces territoires, qui font partie de notre patrimoine national.
C’est pourquoi je vous propose, monsieur le député, de retirer votre amendement. Trois ministères s’engagent effectivement à accompagner et soutenir votre démarche de préservation de ces îles.
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel.
M. Victorin Lurel. Monsieur le président, lorsque nous aurons adopté les crédits inscrits à l’état B, nous aurons adopté le budget de l’outre-mer. J’aimerais faire auparavant savoir quelle est la position du groupe SRC sur le budget de l’outre-mer, et par la même occasion répondre aux propos de Mme la secrétaire d’État.
M. le président. S’il s’agit d’une explication de vote, monsieur Lurel, je vous invite à patienter : un temps de parole de deux minutes est prévu pour les explications de vote, qui auront lieu tout à l’heure.
La parole est à M. Serge Letchimy.
M. Serge Letchimy. Nous parlons de choses extrêmement importantes et sérieuses. Vous avez présenté vos amendements, cher collègue Folliot, de la manière la plus sincère possible. Mais peut-être, comme Jérôme Cahuzac l’a remarqué, ne sont-ils pas adaptés à la situation.
La France compte environ 12 millions de kilomètres carrés d’océans et de mers, dont 97 % se trouvent outre-mer, lequel compte en outre 80 % de la biodiversité marine et terrestre française. Il ne s’agit donc pas seulement d’aller planter un drapeau, et je ne pense pas que la France éprouve des difficultés à faire reconnaître sa souveraineté sur ces terres. Je pense que le problème essentiel et fondamental est de savoir comment donner un nouveau souffle et une nouvelle éthique au développement économique de nos pays et des peuples d’outre-mer.
À ce titre, je vous suggérerai de vous reporter au Grenelle de la mer et aux propositions formulées par un grand nombre, dont j’étais, sur une stratégie marine et maritime propre et régionalisée. Il a ainsi été suggéré que La Réunion soit un référent dans la région et que l’on développe, dans les bassins maritimes transfrontaliers du Pacifique, des stratégies articulées autour de pôles de recherche scientifique. Voilà qui donnerait un véritable contenu à la démarche dont procède vos amendements.
Du reste, il ne s’agit pas de visiter, mais bien plutôt de partager ensemble les richesses de ce monde dont nous n’avons exploré que 1 % et qui représentent certainement l’avenir. En ce sens, la question de l’outre-mer ne se résume pas en termes de handicap ; elle doit être envisagée en termes de richesse et de valorisation.
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel.
M. Victorin Lurel. Je profite de l’examen des amendements de M. Folliot pour évoquer un sujet qui n’a pratiquement jamais été évoqué devant la représentation nationale : la situation de l’île Aves, à 400 kilomètres au large de la Guadeloupe. Je sais que mes amis de Martinique soutiennent qu’elle se trouve aussi à environ 400 kilomètres de la Martinique et que la Dominique affirme exactement la même chose. (Sourires.)
S’agissant de Clipperton, des droits de pêche sur 440 kilomètres carrés ont été cédés au Mexique, qui a d’ailleurs quelques velléités de souveraineté sur ces îlots. Dans le cas d’Avez, la question se pose dans les mêmes termes, et avait été traitée dans le plus grand secret par Pierre Mauroy lorsqu’il était Premier ministre, décision entérinée et confirmée par d’autres gouvernements d’autres sensibilités : nous avons cédé des droits au Venezuela, qui se trouve à 1 500 kilomètres au sud de la Guadeloupe et de la Martinique. Or, jusqu’à présent, personne ne peut, en quelque sorte, faire la lumière sur cette question.
Certes, on évoque Clipperton et d’autres îles, mais il y a des soldats vénézueliens à 400 kilomètres de la Guadeloupe. Je demanderai donc à Mme la secrétaire d’État sinon de répondre aujourd’hui, du moins de clarifier cette affaire.
M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.
M. Jean-Christophe Lagarde. Même si ce débat a duré longtemps et qu’il est tard, je tiens à remercier M. Letchimy d’avoir souligné que la question dont nous débattons n’est pas anecdotique. Pour autant, monsieur Letchimy, ce n’est pas qu’une question économique ; c’est une question de souveraineté – fût-ce, cher collègue Cahuzac, sur un îlot parfois totalement immergé.
À la lecture des amendements de notre collègue Folliot et de l’exposé de leurs motif, on comprend l’intérêt de ces îlots en termes de diversité biologique mais également leur importance économique tant pour l’outre-mer que pour l’ensemble de la nation. Tout le monde sait aujourd’hui que la mer représente une ressource potentielle pour le développement futur et que la France a intérêt, même à travers des territoires symboliques, à la préserver.
Mon seul point de désaccord avec M. Letchimy porte sur le fait que, non, notre souveraineté n’est pas assurée partout sur ces territoires ; notre collègue Victorin Lurel vient d’ailleurs d’évoquer le cas de Clipperton. Votre réponse, madame la secrétaire d’État, et l’action coordonnée du Gouvernement peuvent paraître suffisantes mais, sur ce sujet qui nous tient à cœur, cette action doit être constatée et vérifiée dans le temps. Tout à l’heure, Victorin Lurel disait que l’on pouvait parfois se demander ce que nous faisons de cet espace. D’autres ministères que le vôtre ne le bradent-ils pas, çà et là ? Cet espace doit rester le nôtre, et la France doit y affirmer sa présence.
Si le Gouvernement dit le faire, je souhaite, chers collègues, y compris de métropole, que l’ensemble de la représentation nationale ne l’oublie pas, pour que tous les gouvernements s’en souviennent à leur tour. On nous en voudrait beaucoup d’avoir abandonné des milliers, des centaines de milliers de kilomètres carrés de zone économique exclusive, alors même que l’intérêt national et l’intérêt des territoires ultramarins s’y jouent.
Mme Annick Girardin. Très bien !
M. le président. Monsieur Folliot, retirez-vous donc vos amendements ?
M. Philippe Folliot. Ces amendements visaient surtout à lancer un début de débat en ces matières. Je voudrais simplement dire, s’agissant de la souveraineté, que, si la présence française est assurée sur les îles Éparses, sur Europa, dans les îles Glorieuses et à Juan de Nova, c’est parce que nous savons très bien que, le jour où nous quitterons ces terres, des trafiquants et des pirates s’en serviront comme base arrière, avec tout ce que cela peut représenter.
M. Didier Quentin, rapporteur pour avis. Il y en a déjà eu !
M. Philippe Folliot. Il ne faudrait pas que le canal du Mozambique devienne un jour l’équivalent de la Somalie. De même, nous savons très bien que des bandes mafieuses de narcotrafiquants utilisent Clipperton. C’est en tout cas ce que Jean-Louis Étienne m’a déclaré à la suite de son expédition. Et les déchets qu’ils y abandonnent laissent imaginer ce qui s’y trame.
Autant dire que c’est un sujet essentiel. Effectivement, comme l’a dit Mme la secrétaire d’État, la dimension écologique et environnementale est très prégnante, en raison de la biodiversité. Mais sur le plan économique, ses 11 millions de kilomètres carrés de zone économique exclusive sont, pour notre pays, une chance formidable qui l’aidera à relever les défis du XXIe siècle : l’énergie, l’alimentation, l’eau potable.
J’ai déposé ces amendements pour que nous soyons animés par la volonté de préserver la totalité de cette zone économique exclusive. Ce débat ayant, du moins, été abordé, Mme la secrétaire d’État s’étant exprimée et ayant pris l’engagement exceptionnel de se rendre sur place, je les retire.
M. Jean-Christophe Lagarde. Très bien !
(Les amendement nos 83, 84, 85 et 86 sont retirés.)