| 8 JAN. 2019 |
Gilets jaunes et Outre-mer : pourquoi ça ne prend plus ?
Le mouvement des gilets jaunes est un mouvement national, qui touche toutes les régions de notre territoire. Néanmoins, peu d’espace est accordé dans les médias à l’importance ou non que prend celui-ci dans les Outre-mer. La mobilisation et la violence qui l’entoure, en particulier à La Réunion, est pourtant au moins aussi grande et intolérable que celle qui a éclaté à Paris les samedis 1er et 8 décembre.
En dépit du déplacement sur place de la Ministre des Outre-mer, Annick Girardin, de plusieurs jours de négociations qui ont débouché sur la promesse d’une série de mesures concrètes, l’île est toujours perturbée par de nombreux barrages et toute son économie s’en ressent, bien plus qu’en métropole.
Les revendications des gilets jaunes métropolitains, cela fait longtemps que les citoyens ultra-marins s’en sont saisis. Coût de la vie exorbitant, pouvoir d’achat en berne, chômage écrasant (24% à La Réunion, contre une moyenne nationale de 10% !), besoin de considération de la part de l’État central, tout ceci a déjà émaillé l’histoire des territoires d’Outre-mer de nombreux conflits d’ampleur, souvent assortis de débordements, qui se sont la plupart du temps soldés, in fine, par des déceptions.
Nos concitoyens, parfois traités d’« enfants gâtés » par les métropolitains pendant les différentes crises, ont déjà éprouvé par le passé la surdité du pouvoir, les promesses mal tenues et l’absence de changement dans leur quotidien. Le centrage du débat sur les problèmes de la métropole ne fait que renforcer chez eux le sentiment d’être des citoyens de seconde zone et une lassitude, pour différentes raisons selon les DOM ou COM, vis-à-vis de la mobilisation sociale. Le discours du « à quoi bon ? » prime désormais dans beaucoup de ces territoires.
La Guadeloupe et la Martinique restent très marquées par le mouvement de 2009, qui a paralysé leurs économies et a débouché sur des résultats jugés assez négatifs dans l’ensemble, car non seulement la vie est toujours aussi chère pour les résidents de ces îles, mais l’impact de cette crise sur l’économie est encore sensible aujourd’hui. Guadeloupéens et Martiniquais semblent donc, en majorité, très circonspects à l’idée de se lancer à nouveau dans une lutte sociale, surtout quand elle porte sur les mêmes thématiques que celle de 2009.
De plus, le sentiment national est différent dans ces territoires des Caraïbes : de plus en plus, la fierté d’appartenance devient caribéenne autant qu’elle est française. Le niveau local est de plus en plus privilégié dans la résolution des problèmes, afin de tenter de pallier les manques de l’échelon national, trop lent et trop distant. Le traitement de la crise des sargasses l’été dernier en est un très bon exemple. L’État s’est intéressé à cette crise avec beaucoup de retard : aurait-il agi de la sorte si c’était la Côte d’Azur qui avait été touchée ?
En Guyane, c’est le mouvement des 500 frères qui a ébranlé ce département en 2017. Plus d’un milliard d’euros ont été débloqués à la hâte par le précédent gouvernement pour stopper cet élan et « répondre aux urgences en matière de sécurité, d’immigration de travail, d’éducation et de santé ». Mais les résultats concrets et perceptibles dans le quotidien des Guyanais se font encore attendre.
Mayotte s’est embrasée en 2011, et encore une fois en début d’année 2018, toujours sur les mêmes sujets, avec un prisme sur la dimension sécuritaire liée à l’immigration clandestine. Par deux fois, des mesures et des plans ont été adoptés, qui n’ont rien changé à la situation générale.
J’ai déjà évoqué le cas de la Nouvelle-Calédonie dans un précédent article, et sa situation n’est pas meilleure économiquement. Politiquement, en outre, l’archipel est sorti encore plus divisé du référendum du 4 novembre dernier, les indépendantistes tenant à faire appliquer la totalité des accords de Nouméa, avec deux autres référendum en 2020 et 2022, et l’absence d’ouverture du corps électoral au-delà des conditions prévues par cet accord, quand les loyalistes souhaiteraient que la question soit réglée avec les élections provinciales de mai 2019.
En résumé, les Outre-mer souffrent d’un manque chronique de moyens pour répondre aux préoccupations de leurs citoyens. Avec un coût de la vie en moyenne 12% plus cher qu’en métropole, les inquiétudes sociales y sont exacerbées, de même que les désillusions et la colère qui accompagne ces dernières.
C’est pourtant en grande partie grâce à ses Outre-mer que la France peut se positionner comme une grande puissance géopolitique et avoir son mot à dire dans la perception de l’ordre mondial. Chaque résolution de conflit avec ces territoires voit mettre sur la table des sommes considérables sans que jamais cet argent ne soit vraiment et durablement efficace en matière de développement et d’emplois pérennes. Les interrogations sur l’efficacité réelle de cette dépense publique sont donc légitimes !
C’est précisément ce manque de transparence, ainsi que la condescendance des autorités de métropole – et aussi parfois des métropolitains eux-mêmes, peu sensibles aux problèmes de leurs concitoyens tant qu’ils ne les touchent pas en propre – qui font de ces territoires de véritables poudrières.
La prise en compte d’une dimension économique des enjeux de l’archipel France est donc urgente et fondamentale. J’ai déjà développé qu’une ambitieuse politique de croissance pour notre pays pourrait se faire autour de l’économie bleue qui pourrait créer en France 600 000 emplois dans les 15 ans à venir. Par volontarisme politique et planification nationale, si 20% de ceux-ci pouvaient être fléchés vers les Outre-mer, qui génèrent 97,5% de notre ZEE, on aurait enfin le début d’une solution durable pour les Outre-mer.
Leurs différences géographiques, économiques et culturelles ne peuvent plus être ignorées par l’État central, faute de quoi, nous courrons à l’implosion. À ce titre, pour apporter du liant en période de crise, l’une des propositions de la Ministre des Outre-mer me semble intéressante et mériterait d’être développée : il s’agit de mettre en place un tirage au sort pour désigner, au sein de chacune des communautés locales, des référents citoyens qui feraient remonter les problématiques propres à chacune d’entre elles. Pour autant, sur le fond, il faut aussi engager une réflexion sur l’octroi de mer qui est un des facteurs de vie chère et fait parallèlement l’objet de remises en causes par l’Europe.
Par la communication pacifique et constructive, l’État devrait être régulièrement rappelé à l’ordre sur ses devoirs envers ses citoyens – avant ses devoirs envers la finance et les multinationales – ceci afin de ne jamais perdre le lien avec eux et d’adapter ses politiques en fonction d’eux.
Ceci implique de revaloriser la notion de territoire et d’en faire un élément central de notre conception de l’égalité. En effet, prenons l’exemple du SMIC : son montant est le même pour tous, pourtant un travailleur ne vit pas dans les mêmes conditions avec ce montant, selon qu’il réside en région parisienne, près d’une grande ville, dans les DOM-COM, ou en zone rurale, ce qui interpelle. Le SMIC est censé être la garantie d’un mode de vie décent pour tous les travailleurs, alors que dans les faits, il est symbole de précarité dans de nombreux territoires.
De même, la prime d’activité est identique où que l’on habite, alors qu’elle pourrait être adaptée à chaque territoire, ceci simplement afin de faire accéder ceux qui la perçoivent aux mêmes droits fondamentaux de logement, d’alimentation, de santé et d’éducation que le reste de la classe moyenne.
Enfin, les enjeux relatifs aux transports du quotidien ou à la continuité territoriale ne sont pas non plus les mêmes que l’on se trouve à Paris, dans la montagne tarnaise ou en Polynésie…
Ce sont les territoires et leur diversité qui font la force de notre pays, et on ne peut que le constater dans le contexte actuel, ce sont aussi ces territoires qui fondent le mouvement des gilets jaunes. La grogne repose sur des sentiments d’inégalité et d’injustice, or il ne pourra être question de justice et d’égalité que lorsque l’État aura pris en compte dans sa politique le fait qu’à territoires différents, il faut aussi parfois des réponses différentes.
Il est donc urgent pour notre État, qui reste assez centralisé, de profiter des relais mis en place lors de la décentralisation pour entendre ce que son peuple a à lui dire, et de ne pas faire de technocratiques et hasardeuses suppositions sur ses besoins réels. Notre système de représentation pyramidal fonctionnera mieux s’il tient compte des mouvements citoyens ascendants – à condition que ceux-ci intègrent dans leur conception de la démocratie la notion d’intérêt général, différente de la seule agrégation de revendications particulières – car aujourd’hui, tout ce qui est perçu comme « venant d’en-haut » ne trouve plus d’écoute, encore moins de compréhension, chez nombre de nos compatriotes.
Ce défi vrai pour l’Hexagone l’est encore plus pour les Outre-mer !
Philippe Folliot
Député du Tarn, Président de l’Alliance Centriste
Président du Groupe Spécial Méditerranée et Moyen Orient de l’AP OTAN
Auteur du livre « La Passion – Clipperton : l’île sacrifiée»” aux éditions Bibliotèca – Novembre 2018