| 30 AVR. 2020 |
Le printemps serait-il une saison plus propice aux grands changements, aux déflagrations, aux révolutions ? Comment, à partir d’un événement au départ anodin, mineur, jugé secondaire, peut-il y avoir des enchaînements de faits, de situations, de décisions qui conduisent, alors que rien ne le laissait présager, a priori, à des bouleversements aussi brutaux qu’imprévisibles.
L’apparition de ce virus officiellement sur un marché de Wuhan fin 2019, entraînera quelques mois après une terrible crise planétaire avec un confinement quasi généralisé des populations, révélant les faiblesses, mais aussi les fragilités et les fractures de nos sociétés modernes mondialisées.
Pour ne rien vous cacher, lors d’un séjour privé à Shanghai du 8 au 15 février, j’ai pu me rendre compte comment cette ville de 40 millions d’habitants était à l’arrêt, comme vitrifiée, figée, finalement l’ombre d’elle-même. A mon retour, ce fut une sorte de choc, entre la paralysie là-bas et l’insouciance d’ici, avec malgré quelques avis et avertissements déclinés ici ou là, aucune prise de conscience de la réalité des situations, du caractère évolutif de celles-ci et la conviction que l’éloignement, finalement, ne nous protégerait de peu de choses…. Sans être devin, j’ai l’intime conviction que les historiens analyseront la situation présente comme une vraie rupture de printemps au même titre, et peut-être plus encore, que d’autres qui ont jalonné notre Histoire.
Le 5 mai 1789, l’ouverture des Etats généraux allait engendrer la Révolution Française, un événement considérable, à portée internationale, qui allait bouleverser le monde et renverser la monarchie absolue ! Du serment du jeu de paume du 20 juin jusqu’à la fameuse séance du 23 juin, acte fondateur de l’Assemblée Nationale, de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen le 26 août en passant par la prise de la Bastille le 14 juillet, autant d’événements qui ont marqué le monde et bouleversé la France, entraînant des turbulences pendant huit décennies pour ne réellement se terminer qu’à l’avènement en 1870 de la IIIème République et de la démocratie.
Entre temps, un banquet réprimé à Paris le 22 février 1848 allait entraîner un autre Printemps, celui dit des peuples. A partir de la France, qui vit le roi Louis-Philippe abdiquer et la IIème République s’installer, allait s’enclencher un mouvement continental et, tour à tour, en Pologne, en Belgique, en Allemagne, en Italie… les peuples se révoltaient. Le germe démocratique et le fait national, après ces révolutions du Printemps des peuples, allaient être le socle sur lequel des démocraties européennes, mais aussi les nations européennes, allaient pouvoir s’appuyer puis se constituer !
Toujours en Europe, plus d’un siècle plus tard, de l’autre coté du Rideau de fer, l’arrivée au pouvoir en Tchécoslovaquie du réformateur DUBČEK allait entraîner le printemps de Prague et la première fissure, plus tard fatale, du bloc soviétique. « Comme un écho », côté occidental, ce fut le choc de mai 68, « sous les pavés, la plage », cette révolution autant sociétale que sociale et politique qui allait entraîner partout dans le monde occidental combien d’évolutions et de révolutions… des mœurs !
C’est au cœur de l’hiver que va naitre un autre Printemps. En effet, un simple drame local, l’immolation par le feu d’un vendeur ambulant à Sidi Bouzid, en Tunisie, allait y entraîner le 17 décembre 2010 une grande manifestation populaire qui fut le déclenchement de ce que l’on appellera le Printemps arabe. Partout, aux quatre coins du monde arabo-musulman, un après l’autre, les peuples vont se soulever, renverser bien des régimes autoritaires qui les opprimaient, conduisant à des évolutions, des révolutions ou des déflagrations, débouchant souvent sur tant de guerres civiles, telles que certains Etats faillis ne s’en sont toujours pas relevés. Pensons à la Libye, la Syrie, le Yémen…
Les périodes, les situations, les contextes, sont différents, mais il y a une constante à ces quatre Printemps : c’est la volonté des peuples de voir éclore démocratie et liberté. Puissions-nous, malgré l’ombre des extrémismes et populismes, espérer que le choc que nous vivons n’aille pas dans le sens opposé. Je dirai même plus, n’oublions surtout pas ce que nous devons à la démocratie et à la liberté, au-delà de leur mémoire et de la dimension héroïque des combattants les ayant incarnées.
Au cours de ce si singulier printemps 2020, battons-nous avec force et conviction non pas pour préserver, mais pour faire progresser ce si bel héritage et l’Etat de droit que beaucoup nous envient.
« Voici donc les longs jours, lumière, amour, délire !
Voici le printemps ! mars, avril au doux sourire,
Mai fleuri, juin brûlant, tous les beaux mois amis ! … », Printemps, Victor HUGO.
Amitiés,
Philippe FOLLIOT