| 26 MAI 2020 |
Je suis très surpris par ce qui se passe, ou plutôt pas ce qui ne se passe pas, dans nos universités. Cela fait plus de deux mois qu’elles sont fermées et la perspective qu’elles ne réouvrent en octobre semble ne faire quasiment aucun bruit. C’est comme si l’ensemble du monde universitaire se pliait au mode « hors les murs » avec uniquement le télétravail, pardon, les télé-cours ! Finalement, ce qui était une tendance et une exception deviendrait petit à petit la norme.
Si certains gestionnaires y voient source d’économies, moins d’amphis, moins de salles de cours, moins de personnel, une telle évolution interroge. En effet, j’ai été interpellé récemment de voir qu’un célèbre professeur de notoriété internationale voyait ses cours hebdomadaires d’une grande université américaine suivis régulièrement en ligne par plus de deux cent mille étudiants !
Si une forme de démocratisation du savoir, des connaissances, de la pédagogie s’opère par ce biais-là, cela montre que c’est une piste intéressante, mais pour autant cela doit-il devenir la norme ?
En effet, tout cela pour moi pose toute une série de questions :
- La première, c’est que si nous risquons d’aller vers une « Gafaïsation » du système universitaire autour d’établissements majors, que va-t-il en advenir de nos universités qui jalonnent et structurent nos territoires, ne risquent-elles pas d’être broyées dans un tel schéma ?
- Que va-t-il en être du Français comme langue d’enseignement ? Cela ne risque-t-il pas de conduire vers une marginalisation encore plus extrême que celle que nous connaissons déjà au profit de l’anglais, bien sûr, voire du mandarin demain ?
- La confrontation directe, et non virtuelle, entre professeurs et étudiants n’est-elle pas un gage de qualité de l’enseignement, et cette capacité des étudiants à pouvoir poser des questions, voire interpeller leurs enseignants, un socle sur lequel la pédagogie constructive a reposé ?
- Une université virtuelle sans brassage, sans mélange, sans échanges, sans convivialité, sans émulation, et j’allais ajouter sans capacité à contester, sera-t-elle toujours une université ?
De fait, cela fait des décennies que les dépenses de la nation pour l’éducation ont singulièrement progressé, mais ceci s’est fait essentiellement au profit du second degré, l’enseignement supérieur étant le plus souvent relégué. Conséquence de tout cela, la place de nos universités ou grandes écoles dans la hiérarchie internationale dont le célèbre mais à caution « classement de Shanghai » a tendance à baisser dans certains domaines hier d’excellence à devenir secondaire. Tout ceci est très triste et important pour notre pays qui compte parmi les plus anciennes universités au monde car les étudiants d’aujourd’hui sont les cadres et ingénieurs de demain, et cela nous ne devons pas l’oublier. La capacité d’un pays à former les élites de demain est fondamentale dans la compétition si ce n’est des nations tout au moins des systèmes en cours.
L’uniformisation anglosaxonne de l’enseignement supérieur et des pratiques est une erreur fondamentale, notre université est à réformer, voire refonder, mais elle reste à préserver.
Au printemps 68, les étudiants descendaient dans la rue pour manifester et bloquer les facultés, cinq décennies plus tard, leurs petits-enfants seraient inspirés, si ce n’est physiquement mais tout au moins virtuellement, de manifester pour demander… la réouverture des universités !
Amitiés,
Philippe FOLLIOT