ENTRETIEN – Le sénateur centriste du Tarn regrette l’absence de vision de l’État concernant son immense domaine maritime, sur lequel il n’exerce pas sa souveraineté.
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Philippe Folliot: «La France n’a pas de stratégie maritime» ENTRETIEN - Le sénateur centriste du Tarn regrette l’absence de vision de l’État concernant son immense domaine maritime, sur lequel il n’exerce pas sa souveraineté. La France possède le domaine maritime le plus étendu au monde et le délaisse, selon le président de l’Alliance centriste, Philippe Folliot. Des outre-mer négligés, un manque de vision économique, une souveraineté à l’abandon… Après la parution, en 2009, de France-sur-Mer. Un empire oublié, le sénateur du Tarn publie la suite, France-sur-Mer. Un incroyable gâchis (Éditions La Bibliotèca). Il revient sur les erreurs stratégiques et propose des pistes concrètes pour enfin valoriser cet atout unique. LE FIGARO. - Votre livre part de ce constat étonnant: la France se croit toujours continentale et européenne alors qu’elle est mondiale et maritime… Philippe FOLLIOT. - La France dispose du premier domaine maritime au monde, devant les États-Unis, avec 11,69 millions de kilomètres carrés. Cela comprend la zone économique exclusive, les eaux territoriales et l’extension récente des droits souverains, via Extraplac. Notre pays n’en a pas conscience, mais l’économie bleue en France représente plus que l’automobile. Les océans constituent des enjeux essentiels. Quels sont ces enjeux? Quatre des défis majeurs du XXIe siècle, l’humanité ne pourra les relever qu’à travers une exploitation raisonnable et raisonnée des ressources des mers et des océans. Le défi de l’alimentation, d’abord. La population mondiale va augmenter de 30 % d’ici à la fin du siècle. Or on ne va pas pouvoir augmenter de 30 % les terres cultivables ni les rendements. Il faudra aller chercher les protéines dans la mer. Le deuxième défi est celui de l’énergie, les énergies marines renouvelables offrant des opportunités exceptionnelles. Le troisième est celui de l’accès à l’eau. Le dernier est celui de l’environnement. L’océan est le plus important piège à carbone. Notre pays a donc la capacité, à travers la valorisation de son immense domaine maritime, de peser sur l’avenir du monde. Un certain nombre d’entreprises françaises sont, de plus, des leaders mondiaux dans ce secteur. Par exemple dans la pose et l’entretien des câbles sous-marins. C’est dommage, alors que la France a la souveraineté et les savoir-faire, de ne pas avoir une politique réelle et ambitieuse pour en faire un axe fort. Quelles sont les raisons de ce manque d’intérêt? L’État regarde ses outre-mer comme une charge et non comme une chance. Quand le ministère des Outre-mer est rattaché à celui de l’Intérieur, le message politique est de dire qu’il s’agit uniquement d’un problème d’ordre public. Avec cette négation, la France se regarde comme elle pense être, à savoir continentale et européenne. Pour impulser une véritable stratégie ultramarine, il faudrait un ministère d’État de la mer affichant cette priorité. Vous déplorez que la France n’exerce pas sa souveraineté sur ces immenses espaces marins… Les moyens dont dispose la marine nationale pour exercer cette souveraineté aujourd’hui, dixit un ancien chef d’état-major de la marine, c’est comme si on avait deux voitures de police pour surveiller tout le territoire hexagonal! C’est la réalité des choses. J’ai mené un combat parlementaire, par exemple, pour éviter que soit signé un traité inique de cogestion de l’île Tromelin avec l’île Maurice. Concernant l’île de la Passion-Clipperton, l’État se donne comme objectif d’y aller une fois tous les trois ans pour changer le drapeau et repeindre le monument. C’est une souveraineté théorique. Comme pour les îles Éparses, revendiquées par Madagascar, l’État n’a pas de position ferme… Quelles solutions proposez-vous? 90 % du tonnage des bateaux de la marine nationale sont basés dans l’Hexagone alors que 97,7 % de notre zone économique exclusive (ZEE) sont liés aux outre-mer. Je propose de passer d’une logique des deux moitiés - Atlantique-Brest et Méditerranée-Toulon - à celle des quatre quarts. En prépositionnant des moyens de la marine nationale dans l’océan Indien, à Saint-Denis de La Réunion, et dans le Pacifique, à Nouméa ou à Papeete. La France afficherait ainsi concrètement une géostratégie indo-pacifique ambitieuse, sachant que 2,5 millions de nos compatriotes vivent dans cette zone. Aujourd’hui, avec la seule frégate Vendémiaire à Nouméa, ça équivaut à patrouiller avec une R16 sur une autoroute remplie de 38 tonnes américains et chinois. La Chine, qui met en service l’équivalent de toute notre marine nationale tous les quatre ans… Idem pour les bases aériennes, toutes dans l’Hexagone. Il en faudrait au moins deux dans nos outre-mer, des porte-avions fixes. Cela nous offrirait enfin une capacité de rayonner à travers le monde. Face au conflit qui se dessine entre la Chine et les États-Unis, la France a une voix singulière à porter. Pour elle et pour l’Europe, car, depuis le Brexit, elle est le seul pays de l’Union européenne présent dans cette zone indo-pacifique. Vous soulignez que la marine est la sacrifiée des lois de programmation militaire. N’est-il pas trop tard? Dans la prochaine loi de programmation militaire, il faut donner plus de moyens à la marine nationale, car les conflictualités de demain seront sur les mers et les océans. Compte tenu des enjeux économiques par rapport aux ressources à exploiter dans les océans, la compétition va être de plus en plus accrue. Comment la France pourra-t-elle tenir son rang sans s’affirmer comme une puissance maritime? Des ressources qui sont également négligées… La France a des ressources gazières avérées sous l’île Juan de Nova, dans le canal du Mozambique, considéré comme la future mer du Nord en la matière. La France a arrêté les permis de prospection en 2019. Alors que Total exploite le gaz au Mozambique et que la Russie prend pied à Madagascar. Cet axe de développement économique pourrait profiter à Mayotte, à 500 kilomètres de là… Si la France suivait l’évolution mondiale prévue par l’OCDE en matière de croissance de l’économie bleue, celle-ci doublerait en quinze ans. Cela représenterait 300.000 emplois créés. Avec volontarisme, 20 % de ces emplois seraient liés à nos outre-mer, leur permettant de sortir de la logique chômage-assistanat-exclusion au profit d’un dynamisme économique. Guerre en Ukraine: le sénateur français Philippe Folliot près de la ligne de front : https://www.lefigaro.fr/international/guerre-en-ukraine-le-senateur-francais-philippe-folliot-pres-de-la-ligne-de-front-20230203 Cette économie bleue comprend l’exploitation des hauts-fonds, elle aussi négligée… Il faut veiller à éviter de faire n’importe quoi, mais il ne faut pas être naïfs. Vingt permis internationaux ont été octroyés. La France en a obtenu deux. La Chine et les États-Unis ont commencé à prospecter, pas nous… Il y a des terres rares indispensables à la fabrication de la haute technologie, les médicaments du futur s’y trouvent. La profondeur moyenne des océans est de 3600 mètres. On ne connaît de cette colonne d’eau que les 100 premiers mètres. Quand je vois que la France s’apprête à mettre à la casse le Nautile, le sous-marin de l’Ifremer qui nous permet d’être dans le cercle fermé des cinq pays (avec les États-Unis, la Chine, le Japon et la Russie, NDLR) capables d’aller à 6000 mètres de profondeur, et cela pour faire une économie de 1 million d’euros par an! Quand on voit les enjeux, sans parler de la sécurisation des gazoducs et des câbles sous-marins, c’est stupide de se séparer de cette capacité… Cette vision mondiale et maritime, est-ce un vœu pieux ou espérez-vous être enfin entendu? Mon premier livre a déjà treize ans. Aujourd’hui, les enjeux nous rattrapent. Quand le président de la République cherche un nouveau cap, la stratégie maritime et nos outre-mer offrent une vision.
LE FIGARO – Philippe Folliot: «La France n’a pas de stratégie maritime»