Philippe Folliot est dernièrement intervenu en séance de nuit sur la proposition de loi de M. Eric Ciotti, dont la finalité est de créer une peine alternative à la prison pour les jeunes délinquants. Au terme d’une décision de justice, ces derniers pourraient ainsi être contraints de séjourner dans l’un des vingt Établissements Publics d’Insertion de la Défense (EPIDE) que l’on dénombre sur le territoire. Cette démarche qui vise à re-socialiser ces jeunes en perte de repères et à leur inculquer les valeurs civiques élémentaires, préalables nécessaires à toute vie en société, est en soi une proposition intéressante, constructive et pédagogique. Toutefois, cette dernière se heurte à certaines contradictions qui la rendent inopérante (voir “Mon avis sur” la loi Ciotti).
Cliquez sur “Continuer la Lecture” pour lire son intervention.
M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot.
M. Philippe Folliot. Monsieur le président, monsieur le ministre de la justice, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise suscite, vous le savez, beaucoup d’intérêt, l’intérêt des parlementaires que nous sommes, l’intérêt des médias, mais, avant toute chose, l’intérêt de nos concitoyens.
En effet, nos concitoyens s’interrogent et s’inquiètent de l’augmentation de la délinquance, en particulier chez les mineurs. Ils s’inquiètent également d’une vague d’impunité qui semble régner à l’égard des mineurs délinquants.
Car si le taux de réponse pénale est important dans ce domaine, il faut aussi regarder le niveau et les délais d’application des peines prononcées par les juridictions compétentes. Cette question était d’ailleurs le sujet traité par le rapport de M. Ciotti qui a précédé le dépôt de cette proposition de loi.
Les parlementaires du groupe Nouveau Centre et apparentés regardent en tout premier lieu ces faits. Ils les étudient et constatent les problèmes qui se posent à notre justice en matière de gestion des mineurs délinquants. Ils refusent clairement les postures idéologiques que nous retrouvons trop souvent dans ces débats
Notre collègue Yvan Lachaud a rendu il y a quelques mois un excellent rapport dans lequel il exprimait le constat largement répandu chez les professionnels que la justice des mineurs n’est pas suffisamment rapide, effective et lisible.
La création d’un service citoyen en établissement public d’insertion de la défense, EPIDE, que préconise la présente proposition de loi vise à permettre aux magistrats de disposer d’un outil supplémentaire pour combattre la délinquance des mineurs.
Il apparaît en effet que les magistrats en charge des mineurs appellent de leurs vœux la diversification des solutions de façon à répondre le plus fidèlement possible au profil et aux besoins des jeunes, afin que l’éducatif soit privilégié par rapport au répressif, comme l’impose l’ordonnance du 2 février 1945.
En ce sens, nous entendons la volonté de l’auteur de la proposition de loi de mettre en place ce service citoyen au sein des EPIDE, ainsi que les autres dispositions procédurales contenues dans cette proposition de loi, et ce d’autant plus que les formations de l’association Jeunes en équipe de travail de l’amiral Brac de la Perrière ont toujours bien fonctionné, même si l’on peut regretter qu’elles aient été abandonnées pour des raisons juridiques et du fait de leur coût élevé qui les a rendues difficiles à généraliser, sans parler des réserves exprimées à l’époque par les armées.
Depuis la suppression du service national, nous nous rendons compte qu’il manque quelque chose dans le lien entre l’armée et la nation mais que, pour autant, les armées ne sont jamais restées insensibles à tout ce qui avait trait à l’accueil de jeunes en difficulté.
Il y a tout d’abord le SMA, le service militaire adapté, qui est une réussite exceptionnelle. J’ai eu l’occasion de visiter il y a quelques mois le régiment du service militaire adapté à Koumac, en Nouvelle-Calédonie, et j’ai pu me rendre compte de l’intérêt du travail mené, de la qualité des personnels et aussi de la satisfaction des jeunes en situation difficile qui en faisaient partie.
La défense joue aussi, à travers les collèges et les lycées militaires, un rôle de promotion en aidant des jeunes en situation sociale difficile qu’elle accueille dans des internats d’excellence un peu particuliers.
Je n’insiste pas sur le rôle de la légion, qui a toujours su accueillir et intégrer des jeunes, Français ou étrangers, ayant eu parfois un parcours chaotique.
Enfin, n’oublions pas que c’est au sein de la défense que l’on trouve certainement la plus grande promotion sociale. Ayons ainsi en mémoire le parcours exceptionnel du général Irastorza, qui était encore il y a quelques semaines chef d’état-major des armées. Rentré à la base comme simple militaire du rang, il a terminé chef d’état-major de l’armée de terre.
Nous avons cependant quelques interrogations qu’il nous semble utile de lever, et d’abord sur l’adhésion des personnels concernés par le dispositif.
En tant que centristes, nous attachons une importance particulière à l’implication des acteurs de terrain dans la définition et la mise en œuvre des décisions politiques. Or les personnels des EPIDE semblent en majorité dubitatifs et inquiets face à cette proposition.
Il nous semble dangereux de susciter dans l’opinion publique des confusions sur le rôle des militaires dans notre société : leur rôle n’est pas de prendre en charge la délinquance des mineurs. Certes, les EPIDE ne sont pas gérés directement par les militaires, mais Défense deuxième chance, cela veut dire ce que cela veut dire. Les militaires ne sont pas préparés à encadrer de jeunes délinquants. Des formateurs aux capacités plus adaptées pourraient prendre en charge les mineurs délinquants.
La proposition de loi prévoit que ces centres devront désormais accueillir des mineurs délinquants contraints par une décision de justice. Cela risque de perturber les jeunes déjà présents au sein des EPIDE qui, eux, intègrent ces établissements sur la base du volontariat. Permettez-moi de faire une comparaison. Si, dans une classe d’une vingtaine d’élèves avec une minorité de bons élèves et une grosse majorité d’élèves en difficulté, vous mettez des élèves particulièrement perturbateurs, l’ensemble de la classe sera en situation d’échec. C’est la critique majeure que l’on peut faire à ce texte : le fait de mélanger des publics très différents, certains qui sont volontaires pour pouvoir s’en sortir et d’autres à qui l’on imposera une décision de justice. La proposition de loi risque de dénaturer la vocation initiale des EPIDE, qui repose sur le volontariat de jeunes en difficulté.
Actuellement, les EPIDE fonctionnent bien, notamment en matière de réinsertion par la formation professionnelle : 73 % des jeunes qui vont au bout du parcours sont insérés. La part des jeunes qui ont trouvé un travail six mois après leur sortie du dispositif, quelle que soit la nature de cette sortie, progresse de 7,20 % et, parallèlement, les entrées dans des cursus de formation augmentent de plus de trois points. Il existe des partenariats avec les entreprises pour l’insertion des jeunes. Or la proposition de loi ne prévoit pas d’insertion professionnelle pour les mineurs délinquants.
De plus, ces établissements sont confrontés à un manque de moyens : initialement créés pour accueillir jusqu’à 20 000 jeunes, ils n’en accueillent en réalité que 2000, soit dix fois moins que les chiffres annoncés. Il existe donc une inadéquation entre les objectifs énoncés et les moyens alloués, et cet effet d’annonce est particulièrement préjudiciable en ce domaine comme dans bien d’autres.
Dans son rapport fait au nom de la commission des lois, Éric Ciotti reconnaît qu’une clarification des méthodes de gestion des EPIDE doit être poursuivie. En 2010, le prix de la journée d’accueil en EPIDE était de 111,50 euros, soit un coût annuel de 40 750 euros. Le budget des EPIDE s’est élevé en 2010 à 85 millions d’euros. Enfin, 45 % des mineurs condamnés ont moins de seize ans. Or les dispositions de la proposition de loi ne concernent que les mineurs de plus de seize ans.
Par conséquent, nous profitons de ce débat pour formuler d’autres propositions en matière de traitement de la délinquance des mineurs.
L’État expérimente actuellement les propositions formulées par Yvan Lachaud dans son rapport.
Ainsi, afin de lutter contre le sentiment d’impunité que peuvent avoir certains jeunes délinquants, un nouveau type d’établissement sera créé prochainement dans le ressort de trois cours d’appel : les établissements de placement provisoire d’observation et d’orientation.
Des brigades de police spécialisées dans la prise en charge de mineurs délinquants seront mises en place, en coordination avec la protection judiciaire de la jeunesse et l’éducation nationale.
Le rapport d’Yvan Lachaud recommande également de créer une base de données personnalisées pour les mineurs.
L’on peut aussi parler des centres éducatifs fermés, qui sont une réponse adaptée à la situation des mineurs délinquants. Bref, plutôt que de privilégier un nouvel outil, il nous paraît essentiel de veiller à ce que nous puissions jouer sur l’ensemble des outils existants.
Le groupe Nouveau Centre souhaite également attirer l’attention sur la prise en compte de la récidive chez les mineurs : nombre de mineurs sont sanctionnés trop longtemps après avoir commis les faits qui leur sont reprochés, ce qui accroît les risques de récidive. Il conviendrait donc de se concentrer en priorité sur ce problème et sur les moyens à mettre en place pour assurer la rapidité de la justice des mineurs.
Enfin, nous appelons le Gouvernement à accroître les crédits dévolus à la justice des mineurs, car il faut savoir donner à la justice les moyens de faire appliquer ses décisions. Nous suggérons aussi le développement de politiques de prévention, qui permettraient de générer de grandes économies pour l’État.
L’intégralité du débat en cliquant ici.