L’évolution du nombre de médecins, caractérisée en France par une baisse sensible des effectifs, sera certainement l’un des problèmes majeurs pour notre système de santé au cours de la décennie à venir. On estime en effet que le nombre de médecin baissera de près de dix points au cours des dix prochaines années. On craint alors que l’inégalité de l’accès au soins, liée notamment aux disparités géographiques, ne s’aggrave, en particulier à l’échelon local.
Conscient de ce problème, Philippe Folliot a souhaité proposer des solutions pertinentes visant à enrayer cette tendance par le dépôt d’une proposition de loi. Voici l’intégralité du texte déposé :
PROPOSITION DE LOI
relative à la lutte contre l’inégalité de l’accès aux soins
sur le territoire français,
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Les chiffres de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, DREES, concernant l’évolution du nombre et de la densité de médecins de 1985 à 2025 sont édifiants. Si en 2007 le nombre de médecins s’élevait à 208 191, il poursuivra, selon les projections de cet institut, une diminution de près de 10 % sur les 10 années à venir pour atteindre son minimum en 2019 avec 188 000 médecins seulement. Cette diminution s’explique par le numerus clausus instauré par le gouvernement en 1971 et fixant le nombre de places ouvertes en deuxième année d’étude de médecine suivant l’évolution de la démographie.
Néanmoins, ces chiffres concernent une moyenne au niveau national. Il advient maintenant de s’attarder sur les conséquences de cette diminution des effectifs pour les années à venir au niveau local.
Les différentes projections tendent en effet à affirmer que les disparités géographiques iront en s’accroissant. Telle est la problématique majeure de cette diminution. Elle constitue un problème de santé publique, un enjeu majeur pour les années à venir et un réel défi que nous devons relever. Car, si l’on se réfère à la Constitution de 1946, un droit à la protection de la santé y est bel et bien inscrit. Et celui ci vaut pour tous les citoyens de manière égale et sur tout le territoire de manière homogène.
Si l’État, les collectivités territoriales, l’Assurance Maladie ont déjà œuvré pour inciter les jeunes médecins à s’implanter dans des zones sous-médicalisées, en instaurant des aides financières et matérielles, des bourses, des exonérations fiscales, les résultats ne sont que trop peu visibles. Les professionnels de santé demeurent peu enclins à contribuer spontanément au rééquilibrage de la démographie médicale. Un sondage commandité par le Conseil National de l’Ordre des Médecins (CNOM) indique que 63 % des étudiants et 60 % des jeunes médecins n’envisagent pas de s’installer en zone rurale, en raison des fortes exigences de disponibilité requises et de l’isolement de ces zones. À ces chiffres s’ajoute la tendance actuelle de féminisation de la profession. Les femmes médecin ont tendance à se déplacer géographiquement suivant la profession de leur époux. Dans la plupart des cas, ces professions concernent des entreprises situées dans des grandes villes, ce qui ne fait qu’amplifier le phénomène. De même, un courant actuel accroît la salarisation des médecins libéraux en clinique privée. Ces établissements privés ne dispensent pas toujours les soins que peuvent attendre les populations rurales, que ce soient des consultations de médecine générale ou d’urgence. S’il ne s’agit pas d’opposer inutilement service public hospitalier et activités privées salariales, il convient de trouver les modalités permettant de garantir l’égalité des territoires et le maintien de médecins libéraux salariés ou exerçant dans le service public en zone rurale.
Après ce bilan dressé de la situation actuelle, il convient d’agir afin de remédier à cette problématique touchant de plein fouet les populations rurales.
Dans un premier temps, cette proposition de loi promeut des mesures coercitives afin de réguler les flux de jeunes médecins s’installant après leurs études. Pour cela, elle instaure un numerus clausus à l’installation des médecins, à l’instar du dispositif en vigueur pour les officines de pharmacie, afin de réduire les écarts de densité que l’on constate aujourd’hui sur le territoire.
Dans un second temps, elle pose le principe suivant lequel il advient de sensibiliser davantage les jeunes sur le besoin crucial de médecins en milieu rural, notamment par la réalisation obligatoire d’un stage sur le terrain. Le 2e cycle du cursus de médecine correspond à une étape de la formation communément appelée « externat ». Au cours des quatre années de ce cycle, ces dits « étudiants hospitaliers » se doivent de réaliser quatre stages d’une durée de trois mois chacun. Cette proposition de loi soumet au Parlement qu’un de ces stages doive se faire dans un cabinet de médecin généraliste en milieu rural afin que les étudiants découvrent le travail sur le terrain et n’aient pas de préjugés avant même d’y avoir vécu une expérience professionnelle.
Dans un troisième temps, elle crée de nouvelles incitations à l’implantation des médecins généralistes en milieu rural en complément des dispositifs existants; dans un souci d’équité elles seront réservées aux médecins conventionnés. Il s’agit premièrement de l’instauration d’une aide dégressive de l’État au profit des médecins généralistes dans les zones rurales exigibles aux aides versées dans le cadre du Fonds de réorientation et de modernisation de la médecine libérale (FORMMEL). Deuxièmement, une aide de l’État sera également versée de manière dégressive aux médecins généralistes désireux d’ouvrir un cabinet secondaire dans certaines zones certes très peuplées du territoire mais également déficitaire en terme de soins.
Enfin, les collectivités locales seront désormais autorisées, par transposition du dispositif de l’article 21464 D du code général des impôts relatifs à la taxe professionnelle, à exonérer de taxe foncière les médecins généralistes s’installant dans une commune de moins de 2 000 habitants.
Pour garantir l’égal accès aux soins sur l’ensemble du territoire et mettre en œuvre à cet effet une meilleure régulation de la démographie médicale, il vous est demandé, Mesdames, Messieurs, d’adopter la proposition de loi suivante.
PROPOSITION DE LOI
TITRE IER
DE L’ÉVOLUTION DU NUMERUS CLAUSUS
Article 1er
Le nombre et la répartition des étudiants de première année du premier cycle des études médicales autorisés à poursuivre leurs études en médecine à la suite des épreuves terminales de l’année universitaire en cours sont fixés chaque année par arrêté du ministre chargé de la santé compte tenu des perspectives d’évolution de la démographie médicale et des besoins de santé de la population sur l’ensemble du territoire.
TITRE II
DE L’INSTAURATION D’UN NUMERUS CLAUSUS
À L’INSTALLATION DES MÉDECINS GÉNÉRALISTES
Article 2
Après le chapitre Ier du titre III du livre Ier de la quatrième partie du code de la santé publique, il est inséré un chapitre I bis intitulé : « Conditions d’installation des médecins généralistes » et comprenant quatre articles L. 4131-8 à L. 4131-11 ainsi rédigés :
« Art. L. 4131-8. – Les créations, les transferts et les regroupements de cabinets médicaux de médecins généralistes doivent permettre de répondre de façon optimale aux besoins sanitaires dans les zones d’accueil de ces cabinets.
« Art. L. 4131-9. – Toute création d’un nouveau cabinet médical conventionné, tout transfert d’un cabinet médical conventionné d’un lieu dans un autre et tout regroupement de cabinets médicaux sont subordonnés à l’octroi d’une licence délivrée par le représentant de l’État dans le département selon des critères de population déterminés par le décret mentionné à l’article L. 4131-11.
« La licence fixe l’emplacement où le cabinet médical sera exploité.
« Lorsqu’il est saisi d’une demande de création, de transfert ou de regroupement, le représentant de l’État peut imposer une distance minimum entre l’emplacement prévu pour le futur cabinet et le cabinet existant le plus proche.
« Art. L. 4131-10. – Le cabinet médical dont la création, le transfert ou le regroupement a été autorisé doit être effectivement ouvert au public au plus tard à l’issue d’un délai d’un an, qui court à partir du jour de la notification de l’arrêté de licence, sauf prolongation en cas de force majeure.
« Art. L. 4131-11. – Pour l’application des dispositions du présent chapitre, un décret en Conseil d’État fixe :
« – les seuils de population retenus pour l’attribution des licences mentionnées à l’article L. 4131-9 ;
« – les conditions de délivrance de ces licences ;
« – les modalités de présentation et d’instruction des demandes de création, transfert et regroupement des cabinets médicaux ;
« – Les conditions minimales d’installation auxquelles doivent satisfaire les cabinets médicaux. »
TITRE III
DES AIDES À L’INSTALLATION DES MÉDECINS GÉNÉRALISTES CONVENTIONNÉS EN ZONES RURALES
Article 3
I. – Conformément aux dispositions de l’article L. 221-1-2 du code de la sécurité sociale et de l’article 19 de la loi n° 2007-127 du 30 janvier 2007, les médecins généralistes conventionnés sont éligibles aux ressources du fonds des actions conventionnelles.
II. – Après le 3° du II de l’article L. 221-1-2 du code de la sécurité sociale, il est inséré un 4° ainsi rédigé :
« 4° Participer à l’implantation des médecins généralistes en zones rurales très peu peuplées où est constaté un déficit en offre de soins. L’État leur accorde une aide de 15 250 € la première année de leur implantation et de 7 625 € les deux années suivantes. »
Article 4
Les médecins généralistes conventionnés qui ouvrent un cabinet secondaire en zones rurales très peu peuplées où est constaté un déficit en matière d’offre de soins bénéficient d’une aide de l’État de 10 000 € la première année de leur implantation et de 5 000 € les deux suivantes.
Un décret détermine les conditions dans lesquelles ces zones sont définies par le représentant de l’État dans la région après l’avis du conseil régional de santé et des conseils départementaux de l’ordre des médecins et précise les obligations auxquelles sont soumis les médecins bénéficiant de l’aide mentionnée au premier alinéa.
Article 5
Par une délibération de portée générale prise dans les conditions prévues à l’article 1639 A bis du code général des impôts, les collectivités territoriales ou leurs groupements dotés d’une fiscalité propre peuvent exonérer de la taxe d’habitation et de la taxe foncière pendant les deux années qui suivent celle de leur établissement les médecins généralistes soumis à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices non commerciaux qui, exerçant pour la première fois leur activité à titre libéral, s’établissent dans une commune de moins de deux mille habitants.
La délibération porte sur la totalité de la part revenant à chaque collectivité ou groupement.
Pour bénéficier de l’exonération, les médecins visés au premier alinéa doivent apporter les justifications nécessaires au service des impôts compétent avant le 1er janvier de l’année qui suit celle de leur établissement.
TITRE IV
DE L’EXPERIENCE ACQUISE EN MILIEU RURAL
Article 6
Après l’article L. 6153-1 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 6153-2 ainsi rédigé:
« Art. L. 6153-2. – Au cours du deuxième cycle de la formation des élèves de médecine, un stage de trois mois, sur les quatre que l’étudiant doit effectuer au cours d’une année, sera effectué dans un cabinet de médecin généraliste en milieu rural ».
TITRE V
DISPOSITIONS DIVERSES
Article 7
I. – Les pertes de recettes pour les collectivités locales ou leurs groupements dotés d’une fiscalité propre résultant de l’application de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par une majoration de la dotation générale de fonctionnement et corrélativement pour l’État par la création d’une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
II. – Les charges résultant pour l’État et les organismes sociaux de l’application de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts et par une majoration de ces droits.