Crédit Photo S.Lakrafi
C’est de mon cher département au cœur de l’Occitanie qu’est symboliquement parti il y a quatre mois le mouvement de colère pour ne pas dire de révolte qui parcourt les campagnes françaises. En retournant les panneaux de signalisation à l’entrée de nos villages et villes, les Jeunes Agriculteurs du Tarn ont figurativement voulu dénoncer que le système agricole marchait à l’envers. De cette pacifique action ils n’ont eu des pouvoirs publics qu’un zeste d’approbation pour l’originalité et la non-violence, une pincée de condescendance et un océan d’indifférence.
Petit-fils d’un paysan, fils d’un inséminateur artificiel, frère d’une agricultrice, maire puis conseiller municipal d’une commune rurale et agricole de la montagne tarnaise où je vis toujours, « le sang de la terre » coule dans mes veines et c’est pour cela que dès le début, ce mouvement a suscité chez moi sympathie et compréhension. Cette sourde colère des paysans et ruraux du Tarn, de France, mais aussi de toute l’Europe, ça fait longtemps que je l’entends et la relaye.
Sur un plan politique, dès le mois de novembre, je lançais une liste pour les européennes « Ruralités 2024, l’avenir dans le bon sens » pour proposer à l’instar des jeunes agriculteurs tarnais de « remettre les choses à l’endroit, dans la bonne direction ». Au travers de dix-huit pistes de réflexions, nous abordions plusieurs des revendications qui se sont cristallisées ensuite : indexation des crédits PAC, grand plan européen d’aide à l’installation, interdiction des produits pesticides et azotés à condition que des solutions alternatives compétitives aussi efficaces et plus vertueuses soient disponibles, création de nouvelles infrastructures de stockage de l’eau, éradication de grands prédateurs en zone d’élevage, reconnaissance de la chasse comme mission d’intérêt public, mise en place d’un haut comité des maires ruraux européens et d’un commissariat à l’aménagement du territoire… font, entre autres, partie de mes propositions faisant écho à celles entendues au bord des routes.
Au-delà du cri de colère de nos paysans autour du revenu agricole, à l’incohérence de la politique sur l’eau, à la surtransposition de normes contradictoires et illisibles, à cette bureaucratie envahissante, à la toute-puissance des centrales d’achats de la grande distribution, c’est un cri du cœur qu’ils veulent pousser.
Le cri du cœur de ces 1% de la population qui nourrit les 99% autres sans être reconnus et rémunérés en conséquence, le cri du cœur face aux agissements de quelques technocrates, écologistes radicaux, voire de néo-ruraux qui veulent leur imposer leur façon de voir et de vivre, le cri du cœur d’une profession où les faillites financières se font dans l’angoissante solitude de l’exploitation, le cri du cœur du métier où le taux de suicide est le plus élevé de tous…
Pour éviter que nos paysages finissent de se refermer, pour éviter ces distorsions de normes et concurrence déloyale européenne ou mondiale et ces importations massives (71% pour les fruits, 56% pour le mouton, 35% de volailles …) qui ruinent notre autonomie alimentaire, pour éviter la folie d’une alimentation aseptisée produite dans des méga-usines agrobiotechnologiques, en clair pour éviter la fin de nos campagnes, il est temps pour la société comme pour le gouvernement d’agir vite et fort.
La société a bien compris que quelque chose de grave se passe puisque 91% de nos concitoyens soutiennent le mouvement. Puisse simplement que ce même citoyen quand il redevient consommateur, se souvienne devant les étals que la qualité, la proximité, le caractère vertueux et environnemental des produits a un coût qui doit être rémunéré tout autant que l’abonnement au portable et ses innombrables applications !
Le gouvernement doit prendre des mesures fortes et durables, car le monde agricole n’en peut plus de cette dictature de l’émotion et du « court-termisme » qui fait qu’au gré de tel ou tel évènement on change incessamment les règles du jeu. À Sivens dans le Tarn, nous savons mieux que quiconque ce qu’il en est. De la simplification certes, de la reconnaissance assurément, mais de la lisibilité, de la prévisibilité, c’est ce que nos paysans réclament.
En 1989, quand j’ai été élu maire de ma commune, il y avait une soixantaine d’exploitations, il en reste une petite dizaine aujourd’hui… et ceux qui demeurent se battent pour s’adapter, pour être écologiquement plus vertueux, pour des produits de qualité, pour faire vivre l’écosystème rural qui les entoure.
Face à cette crise existentielle, à cette crise sociale, il y a donc une volonté d’agir. Nos grands-parents ont vécu l’exode rural, nos parents ont accompagné les mutations rurales, aujourd’hui nous, les 1% d’agriculteurs, les 20% de ruraux du pays, nous disons aux 80% de citadins que pour l’équilibre des territoires, pour la préservation de notre souveraineté alimentaire, pour la qualité des produits de nos terroirs, pour sauvegarder nos paysages, pour l’avenir de notre planète, « cheminons ensemble vers les mille sentiers de l’avenir ».