En octobre 2024, Philippe Folliot avait souhaité interroger le Gouvernement au sujet de l’approvisionnement et de la trajectoire de production de lithium en France. En effet, le lithium est catégorisé en France comme un métal « critique », dont l’approvisionnement n’est pas assuré, alors même qu’il est nécessaire à la transition énergétique (le lithium est en outre utilisé dans les batteries de nos outils numériques).
Le sénateur Folliot avait ainsi souhaité déposer une question écrite (n° 01907) pour obtenir l’avis du Gouvernement sur la stratégie française en matière de trajectoire d’autonomie. Cet élément est d’autant plus important que la Montagne Noire renfermerait des réserves importantes.
Le 6 février 2025, le ministre chargé de l’industrie et de l’énergie auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, a rendu publique la réponse du gouvernement.
Texte de la réponse :
La transition écologique et le développement des nouvelles technologies engendrent un besoin croissant en ressources minérales, comme le lithium pour les batteries, ce qui peut créer de nouvelles dépendances. L’approvisionnement, la transformation et le recyclage des matières premières critiques en Europe, et la sécurisation des chaînes d’approvisionnement sont ainsi des conditions nécessaires pour réussir la transition énergétique. Pour développer une filière française dont l’objectif est de produire 2 millions de véhicules par an, le Gouvernement a déployé une stratégie visant à développer l’ensemble de la chaine de valeur sur le territoire : extraction de métaux (selon la géologie de notre sous-sol), transformation et raffinage de ces métaux, fabrication de matériaux de cathode, gigafactories, recyclage de batterie. Au niveau mondial, la demande en lithium, du fait notamment des besoins croissants pour les batteries, sera multipliée d’un facteur 10 à 15 entre 2020 et 2040. Aujourd’hui, la France fait appel dans une large proportion à des minerais issus de l’étranger pour sa consommation intérieure, souvent extraits avec des exigences sociales et environnementales moindre qu’en France. Utiliser nos ressources minières permet de maitriser davantage ces risques tout en renforçant notre souveraineté en étant moins dépendant de pays tiers. L’industrie du verre et de la céramique a longtemps été la plus importante consommatrice de lithium, aujourd’hui dépassée par une demande toujours plus soutenue en batteries rechargeables pour le petit électronique mobile et le secteur automobile. Les besoins français en lithium pour la mobilité électrique sont estimés (hors recyclage) à 10 à 15 kt de lithium métal, soit 15% de la demande européenne. A date, les principaux gisements lithinifères de France métropolitaine se présentent sous la forme de roche dure comme le gisement de granites à métaux rares de Beauvoir (départements de l’Allier et du Puy-de-Dôme) ou sous forme de saumures hydrothermales principalement situées dans la nappe du Trias en Alsace du Nord. Bien que le territoire ne compte aucun site d’extraction en phase de production avancé, certains projets géothermaux et d’extraction en roche dure sont en cours de développement. Parallèlement, d’autres briques industrielles sur des activités de raffinage et de recyclage font également l’objet de plusieurs projets de R&D et d’industrialisation. L’extraction et le raffinage du lithium en roche dure sont explorés par la société Imerys. Le projet baptisé EMILI (Exploitation de MIca Lithinifère par Imerys), à Échassières dans l’Allier (03), a fait récemment l’objet d’un débat public. La société Imérys répondra aux remarques émises lors de ce débat public et prépare les dépôts de dossiers techniques. Ce projet minier permettrait de produire 30 kilotonnes de carbonate de lithium par an (équivaut aux besoins de 700 000 véhicules). Ce projet n’aurait pu voir le jour sans l’apport des travaux du BRGM dans la connaissance du sous-sol national qui a découvert le gisement de Beauvoir dans les années 1960. L’extraction et la purification du lithium contenu dans les sources géothermales françaises est explorée par plusieurs groupes. Le processus d’extraction du lithium à partir des eaux géothermales fait l’objet de plusieurs projets : – Eramet développe aussi un projet d’extraction de lithium des saumures géothermales dans la vallée du Rhin avec Électricité de Strasbourg. Il existe aujourd’hui un pilote sur la centrale géothermique de Rittershoffen (67) ; – Lithium de France développe un projet d’extraction de lithium à partir des saumures géothermales dans la vallée du Rhin, combinée à la production d’énergie géothermale ; – Vulcan Energy développe un projet d’extraction de lithium à partir des saumures géothermales dans la vallée du Rhin, combinée à la production d’énergie géothermale. La première phase du projet se situe en Allemagne, mais la compagnie possède aussi des licences d’exploration côté français autour de Mulhouse (68). En exploitation, ces projets pourraient atteindre un niveau équivalent cumulé à la production anticipée pour le projet EMILI. Aujourd’hui, l’Etat investit à nouveau dans l’acquisition de données. Une campagne de levers géophysiques est actuellement en cours sur l’ouest du massif central. A terme, l’extraction et le raffinage du lithium produira des sels de lithium qui constituera la partie amont d’une filière intégrée de production de batteries lithium-ion et de véhicules électriques alimentant la filière européenne. D’autres projets en France portent sur l’aval, par rapport aux activités d’extraction de lithium : le raffinage d’oxydes et de carbonates de lithium en sels de lithium et le recyclage de « black mass »issue du broyage de batteries Li-ion en fin de vie et riche en sels lithium, et son raffinage. Ces projets sont, par exemple, portés par l’entreprise Viridian (Bas-Rhin) pour le raffinage et la conversion de produits de lithium au grade batteries, Veolia (Moselle) grâce à la régénération du lithium par traitement hydrométallurgique de la »black mass » des batteries Lithium-ion en fin de vie, Blue Solutions (Bretagne) pour la régénération du lithium métal des anodes des batteries solides, ou encore Livista Energy qui a récemment choisi la France et le Port du Havre (Seine-Maritime) pour établir une usine de raffinage et de conversion. Parmi les critères justifiant l’attraction de ces projets, l’émergence d’une chaîne complète de production de cellules de batteries dans des gigafactories et les industries amont dont la production de matériaux actifs de cathodes et leurs précurseurs, et la fourniture des usines en électricité d’origine électronucléaire permettant d’abaisser significativement l’intensité carbone des produits par rapport à des produits importés, expliquent la conduite de ces projets en France au plus près de l’écosystème des batteries en cours d’émergence. Plusieurs projets stratégiques participant à la sécurisation des approvisionnements français en lithium, à la fois des projets d’industrialisation et des projets d’innovation, ont été encouragés par des fonds France Relance et France 2030 après leur sélection dans le cadre d’appels à projets compétitifs, à l’instar du projet porté par Viridian. Les éventuels nouveaux investissements industriels sur la chaîne de valeur du lithium pourront bénéficier d’un soutien de l’Etat car éligibles au crédit d’impôt au titre des investissements en faveur de l’industrie verte codifié à l’article 244 quater I du code général des impôts, institué par l’article 35 de la loi n° 2023-1322 du décembre 2023 de finances pour 2024, au terme de l’instruction de leur demande d’agrément par les services de la direction générale des finances publiques si déposée avant le 31 décembre 2025. Ce dispositif permet de couvrir au moins 20 % des dépenses d’investissements éligibles (dans la limite de 150 Meuros par entreprise par Etat-membre), avec des majorations d’intensité d’aide possibles en fonction de la taille de l’entreprise et de la localisation du projet dans des zones d’aide à finalité régionale. La Commission a inclus dans la proposition de règlement européen sur les matières premières critiques (« Critical Raw Material Act ») publiée en mars 2023, des outils d’anticipation de crise et de coordination des stocks stratégiques afin d’assurer une protection mutuelle des Etats au sein de l’Union. Dans le monde, seuls quelques pays disposent de stocks stratégiques, qui sont généralement administrés par des agences publiques et majoritairement financés par les Etats via des fonds gouvernementaux. Le stockage stratégique est utilisé comme un instrument visant à acquérir et à stocker de grandes quantités de matières premières, permettant ainsi de se protéger individuellement et de garantir la disponibilité en période de pénurie ou de crise. Cependant, il peut également être motivé par une volonté de stabiliser ou de déstabiliser les prix sur les marchés, si le stock est adapté et géré de manière dynamique en fonction de la situation des prix. La mise en place d’un programme de stockage stratégique de métaux et minerais critiques peut être difficile en raison de la nécessité de trouver l’option optimale entre son coût et sa complexité. Pour cela, il est important de déterminer l’objectif du stockage, sa composition, son fonctionnement et son coût ainsi que les règles de gestion. Les choix de stockage doivent prendre en compte les scénarios d’urgence, les besoins et les capacités technologiques, ainsi que les impacts économiques et politiques, afin de garantir l’efficacité et la pertinence du stockage. Il est également important de considérer que le stockage ne peut être la seule solution à long terme pour résoudre les problèmes de rupture de la chaîne d’approvisionnement et que d’autres approches doivent être parallèlement explorées. Dans ce contexte, il parait opportun que la réflexion et des solutions soient misent en oeuvre au niveau européen. Le projet de plateforme européenne va dans ce sens et il est important que les premiers travaux aboutissent rapidement. Il faudra s’assurer notamment que cette plateforme dispose d’une expertise technique solide en matière de gestion de stocks de métaux et de minerais, ainsi que de connaissances en matière de réglementation environnementale et de sécurité. Elle devrait également être indépendante des producteurs et des utilisateurs de métaux et de minerais pour garantir une gestion impartiale et transparente.
Pour rappel, la question était la suivante :
M. Philippe Folliot appelle l’attention de M. le ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, chargé de l’industrie sur l’approvisionnement et la trajectoire d’autonomie en matière de métaux critiques, en particulier du lithium. Le lithium est classé dans les « métaux critiques » liés aux technologies nécessaires à notre transition énergétique. À ce titre, l’accélération à marche forcée de la fin du moteur thermique pose la question du remplacement du parc automobile, en particulier au regard de la problématique de souveraineté. Si le lithium est un composant essentiel des batteries des véhicules électriques et que le parc de véhicules électriques est amené à prendre une part toujours plus importante pour nous, il nous apparaît essentiel d’en assurer l’approvisionnement. De plus, si nos sous-marins n’utilisent pas de propulsion conventionnelle, nos industriels de l’armement qui en produisent pour l’exportation pourraient un jour se retrouver en défaut sur ce segment si notre approvisionnement venait à être remis en cause. Révolution en cours pour la propulsion sous-marine conventionnelle, les batteries associant du lithium seront un segment stratégique pour quiconque peut en produire et en assurer l’approvisionnement en cas de crises internationales. Outre, les pays d’Amérique du Sud (Bolivie, Argentine, Chili), la France pourrait devenir un producteur de classe mondiale, assurant pour nous et pour nos alliés européens un approvisionnement constant, dans le respect des meilleurs standards environnementaux. M. Philippe Folliot souhaiterait donc connaître les estimations du Gouvernement relatives aux importations de lithium dans les années à venir, l’état d’avancement des projets français visant à assurer notre autonomie stratégique et la trajectoire qu’il envisage pour la réaliser. Enfin, il souhaiterait connaître l’avis du Gouvernement sur la proposition de plateforme européenne des matières premières critiques, qui viserait à gérer les stocks stratégiques au niveau européen pour maintenir un approvisionnement continu dans des prix compétitifs.