Le sénateur a été interviewé pour le journal Atlantico ou il développe son expertise sur les territoires ultramarins et le contexte actuel:
Insurrection en Nouvelle-Calédonie, crise migratoire et sanitaire à Mayotte, narcotrafic et insécurité aux Antilles et en Guyane, sentiment d’abandon à Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna, les territoires ultramarins français sont confrontés à une multitude de crises.
Alors que la Nouvelle-Calédonie est en situation insurrectionnelle, Mayotte s’enfonce dans une crise migratoire et maintenant sanitaire, les Antilles-Guyane font face à un niveau de narcotrafic et d’insécurité sans précédent, la Polynésie s’inquiète, La Réunion doute, Saint-Pierre et Miquelon, ainsi que Wallis et Futuna se sentent toujours oubliés, et La Passion-Clipperton reste l’île sacrifiée ! Le bilan de la politique gouvernementale dans nos outre-mer est peu reluisant. Si je me réjouis d’avoir entendu le Premier ministre affirmer récemment au Sénat que « les outre-mer sont une chance pour la France », force est de constater qu’il y a loin de la parole aux actes.
Au-delà de facteurs historiques, endogènes, géographiques, pourquoi en sommes-nous arrivés là ?
Tout d’abord, une politique ultramarine doit avoir une incarnation. Comme je l’ai dénoncé à maintes reprises, rattacher l’Outre-mer au ministère de l’Intérieur était une erreur.
Au-delà du message subliminal adressé à nos compatriotes ultramarins, que les outre mers seraient avant tout une question d’ordre public, ceux-ci ont bien compris que, pour celui qui a déjà en charge la police et la gendarmerie, le contre-terrorisme, la sécurité des Jeux olympiques, les cultes, la préfectorale… les outre-mer sont loin d’être une priorité.
De surcroît, tout le monde a pu constater que le poste de ministre délégué est la dernière variable d’ajustement lors des remaniements ministériels…
Sous la tutelle de ce ministère, nos compatriotes ultramarins auraient pu au moins espérer une situation sécuritaire améliorée, or jamais l’insécurité n’a été aussi grande, les trafics aussi prospères, la délinquance aussi agressive.
Face à cet échec du ministre de l’Intérieur, le président de la République doit initier un acte fort pour l’ensemble des outre-mer comme il l’a déjà fait sur l’Europe, la défense et certains sujets sociétaux. Il ne peut s’en tenir à jouer le « pompier de service » en Nouvelle-Calédonie !
L’Indopacifique est en train de devenir le premier nœud géostratégique mondial, or la France est le seul pays de l’Union européenne à posséder des territoires dans cette zone, tout comme elle est la seule à être présente dans tous les océans du globe. C’est un atout que nous devons valoriser !
Dans cette vaste région où se concentrent de multiples tensions, alimentées par la bipolarité des conflits entre les grandes puissances, la France peut incarner une alternative, une voie vers une multi-latéralité choisie, avec pour pierre angulaire la défense de notre propre souveraineté, mais également l’équilibre entre toutes les souverainetés en présence.
L’État doit assumer que la France sera plus grande, plus forte, avec tous ses outre-mer, Nouvelle-Calédonie comprise, et insister sur les risques encourus par l’action de puissances étrangères très peu démocratiques, voire prédatrices, qui voudraient mettre la main sur des ressources et des potentialités tant terrestres que maritimes, au détriment des populations et des équilibres régionaux.
L’incarnation de cette nouvelle stratégie ne doit donc se faire ni par Matignon, qui a d’autres enjeux majeurs à traiter, ni par le statu quo, mais dans le cadre d’un grand ministère d’État en charge des outre-mer et de la mer, symbole de la nouvelle attention que la Nation apportera dorénavant à son immense domaine maritime et à ses enfants géographiquement les plus éloignés.
Ensuite, nous sommes dans un État de droit respectueux des libertés et du droit international, or cette « République sur laquelle le soleil ne se couche jamais » ne tient que par la force du droit.
Parmi ceux-ci, le droit à l’autodétermination doit être garanti selon des modalités négociées avec des calendriers convenus, tout en ayant conscience que les revendications indépendantistes se nourrissent, pour beaucoup, d’un ressentiment identitaire, des inégalités sociales et des difficultés économiques.
Aujourd’hui, tous nos outre-mer subissent un exode massif, interne et externe, accompagné d’une urbanisation débridée. Cette migration est alimentée par l’espoir pour les populations de trouver du travail et une vie meilleure, dans des territoires où le chômage explose – Mayotte compte 35% de chômeurs, la Nouvelle-Calédonie, 14,7%, alors que la Métropole en compte 7% – mais où, paradoxalement, les entreprises peinent à recruter.
Plus de la moitié de nos compatriotes ultramarins vivent désormais dans l’agglomération de la capitale de leur collectivité, sans que la construction de logements et d’infrastructures n’ait suivi : cela favorise les difficultés de circulation, les inégalités, l’insécurité, mais aussi l’insalubrité.
Sortir de la dépendance aux prestations et redynamiser nos outre-mer est donc vital : le salut de nos territoires doit venir de plus de liberté et de résilience économique, notamment sur le plan de l’autonomie alimentaire, d’une meilleure répartition des populations et des emplois, mais aussi, et surtout, d’un soutien sans faille de la République pour les accompagner dans cette transition.
Pour cela, pourquoi ne pas explorer la piste de l’économie bleue – qui pourrait générer jusqu’à 50 000 nouveaux emplois sur la prochaine décennie ?
97,5% de notre immense Zone Économique Exclusive nationale est liée à nos outre-mer. Dans l’un de mes ouvrages, j’ai longuement développé en quoi le développement des forces de souveraineté, de la coopération régionale, de cette économie bleue ultramarine et du tourisme, ainsi que la stratégie en matière de formation et d’énergies marines renouvelables, sont autant de perspectives à mettre en œuvre pour offrir un avenir pour nos outre-mer.
Sentiment d’abandon et politique erratique font que les coups de vent sont nombreux, les tempêtes terribles, mais au bout de notre archipel mondial et maritime de France-sur-mer, à travers les moyens et les projections qui viendront juguler cet incroyable gâchis, il y a un sourire, une vision, un espoir.
M. Philippe FOLLIOT, Sénateur du Tarn (Occitanie)