Lettre d’information n°136 du lundi 12 mai 2014
Il y a des mots qui surprennent : « canonnades amicales »
Il y a des propos qui glacent : « l’Etat c’est nous »
Il y a des symboles qui confortent : « élections »
Il y a des regards qui émeuvent : « Moufida »
Il y a des actions qui impressionnent : « FINUL »
Il y a des visions qui étonnent : « les grues »
Six symboles des contrastes libanais. Ce pays aux liens multiséculaires avec la France, Monseigneur Bechara Boutros Cardinal Raï nous rappelait que le roi Saint Louis s’était proclamé protecteur des chrétiens de la région dès 1250, encore pilier de la francophonie, partenaire économique, commercial et financier majeur du Moyen-Orient, est pétri de contrastes.
« Canonnades amicales ». C’est le mot employé devant notre délégation par le charismatique leader druze Walid Joumblat pour qualifier ses relations avec son « ami », leader chrétien Amine Gemayel. Référence à cette terrible guerre civile qui a ensanglanté le pays pendant quinze ans (1975 – 1990) où quasiment tous les protagonistes ou leurs enfants sont toujours acteurs de la vie politique du pays. Tel un funambule, ce peuple avance vers son destin, la sensibilité des communautés à fleur de peau mais conscient que la moindre étincelle peut le faire chuter dans les abîmes des affres du passé. Nous avons certainement été une des seules délégations parlementaires à rencontrer l’ensemble des leaders politiques du pays, souvent chez eux, dans leurs « palais bunkerisés » (quelle différence de moyens et niveau de vie… !) et nous avons senti chez tous ce contraste entre des visions de l’avenir et des relations au monde et aux pays voisins très différentes, et cette lourde responsabilité, cette farouche volonté d’Union Nationale symbolisée à ce jour par un gouvernement du même nom.
« L’État, c’est nous », ces mots qui glacent, qui choquent, qui interrogent ont été prononcés devant nous par Mohamed Raad, leader parlementaire du mouvement chiite Hezbollah. Il y a autant de réalisme que d’exagération dans ces propos caractérisant un mouvement politico-religieux qui est le pivot de la vie libanaise, tous les autres se positionnent par rapport à lui. Anachronique est la situation d’un parti qui possède une milice mieux équipée, entraînée et aguerrie que l’armée et la police de son propre pays. Encore auréolé de sa résistance à l’ennemi israélien lors de la guerre de 2006, acteur « privé » mais majeur du conflit syrien ou de fait il engage son pays, c’est dans la capacité de l’État de droit à intégrer cette force paramilitaire dans un cadre légal que se trouve une des clés du problème libanais tout comme de la volonté des pays de la région (Iran et Syrie / Hezbollah, Arabie avec les sunnites du bloc du futur…) de ne pas se servir du Liban pour régler leurs conflits ou luttes d’influences.
« Elections », dans un environnement régional où la démocratie est souvent bafouée ou caricaturée, la République libanaise, je dirai la « mosaïque libanaise » et ses spécificités, est un exemple à méditer. Marqué par la coexistence, fait exceptionnel au Moyen-Orient, des religions de plus inscrite dans le marbre de la constitution avec un Président chrétien (qui s’inquiètent de ne représenter plus que 35 à 40 % de la population), un Premier ministre sunnite et un Président du Parlement chiite, nous avons assisté depuis le Parlement, seule délégation étrangère autorisée, au premier tour des présidentielles. Ce moment de démocratie où anciens protagonistes de la guerre civile se côtoient « pacifiquement » mais surtout « politiquement » est un gage d’espoir comme celui du nombre d’acteurs du pays qui espèrent pour la première fois depuis 1970 une présidentielle « libanaise » et non dictée de l’étranger.
« Moufida » c’est le prénom de cette jeune enfant syrienne au regard aussi intimidé qu’attendrissant, bénéficiant du programme de l’école de l’après-midi. En effet, après que les enfants libanais aient quitté l’école en début d’après-midi, ce sont les jeunes réfugiés qui l’investissent avec le soutien du H.C.R et du gouvernement libanais pour se mettre à niveau, apprendre et étudier. Nul ne peut comprendre le paradoxe libanais sans la dimension de terre d’accueil et de refuge qu’est ce pays. Il y a tout d’abord les Palestiniens arrivés pour quelques mois il y a soixante ans et qui y sont encore, acteurs, protagonistes, certains diront déclencheurs mais aussi victimes de la guerre civile, ils sont encore plusieurs centaines de milliers (400 000 ?) présents sur le sol libanais et sans réels et crédibles espoirs de retour. Si la France comptait sur son sol 25 millions de réfugiés et 200 000 nouveaux arrivants toutes les semaines comment réagirait-elle ? Mal assurément, et c’est pourtant en proportion ce qu’endure le valeureux Liban, victime collatérale du conflit syrien. Nul autre pays au monde ne supporterait cela et même si nous pouvons témoigner de l’immense bonne volonté des différents acteurs pour encadrer ce drame humanitaire, force est de constater que le soutien international au Liban n’est pas à la hauteur des problèmes et enjeux.
« FINUL ». Nous sommes allés rencontrer les soldats français de la Force Intérimaire des Nations Unies au Liban et avons pu une fois de plus constater le courage, le sérieux, le professionnalisme de nos hommes qui au cœur d’une poudrière mènent avec succès une mission difficile. Ce pays est officiellement en guerre contre Israël et au sud du fleuve litanie, ces hommes veillent autour de la ligne bleue (frontière de fait israélo-libanaise) à ce que le calme précaire soit… durable ! Alors que le nettoyage ethnique a joué à fond (cette région par le passé majoritairement chrétienne chiite et Hezbollah aujourd’hui) au-delà de leur mandat d’interposition de fait entre les irréductibles ennemis Israël et Hezbollah, c’est un travail de fond qui est mené avec forces de police et armée libanaise afin de leur mettre « le pied à l’étrier » pour qu’à terme, elles assurent seules les fonctions régaliennes de sécurité et de souveraineté. Espérons que l’accord tripartite de trois milliards de dollars (Liban, France, Arabie) pour équiper et moderniser l’armée libanaise se concrétise au plus vite.
« Grues ». En cinq jours au Liban, j’ai vu plus de grues qu’en un an en France ! Je ne sais pas s’il y a un phénomène spéculatif et si demain éclatera une bulle immobilière libanaise mais ce pays se construit, se reconstruit et cela de manière impressionnante. Je terminerai donc mon propos sur une note d’optimisme… Ce peuple est dynamique, commerçant, travailleur, ingénieux, la « Suisse du Moyen-Orient » se réveille à l’ombre de son système financier et surtout appuyé par une diaspora qui du Golfe à l’Amérique du Sud en passant par l’Afrique joue un rôle majeur dans l’économie. On ressent un pays jeune, qui en veut, dynamique et novateur et, comme tout un chacun le sait, la prospérité étant à la paix ce que la pauvreté est à la guerre, un formidable ferment que le Liban espère et mérite… vertueux ?
Amitiés
Philippe FOLLIOT