L’accès aux soins est une prérogative fondamentale pour nos citoyens français ; une pierre angulaire de notre pacte républicain. Ce socle médico-social, érigé sur des principes nobles qui font la France, est une fierté qu’il faut nourrir, protéger et garantir.
Aujourd’hui, et depuis de nombreuses années déjà, ce contrat social est en danger. Les gouvernements successifs, qu’ils soient de gauche ou de droite nous en conviendrons, s’érigent en observateurs impuissants du phénomène. Les tentatives, les mesures et les effets d’annonce se succèdent, mais rien n’y fait : nous courrons à la catastrophe et nos citoyens risquent de finir par se soigner par eux-mêmes.
Partout, les élus de la République et les professionnels de santé déplorent des situations dramatiques, où les cabinets généralistes et spécialisés sont saturés, les délais de prises de rendez-vous – quand ils sont possibles – sont gravement démesurés. Aussi bien dans nos campagnes que dans les quartiers sensibles et même dans les villes de taille petite ou moyenne, ce phénomène s’amplifie et inquiète. Ce déficit de personnel médical – médecins généralistes mais aussi spécialistes – a pour conséquence un manque d’attractivité de ces territoires pour les populations et l’impossibilité d’y relancer une dynamique économique ou démographique. Sans service de santé de proximité, ni les entreprises ni les personnes ne souhaitent venir s’y installer.
Trop longtemps, nous avons attribué cette disparité de l’accès aux soins à un manque de personnes formées et qualifiées pour s’installer dans les nombreuses communes déficitaires qui ont investi, souvent sans succès, dans des maisons médicales ou dans différentes aides à la reprise de la patientèle d’un médecin parti en retraite. En bref, il s’agit en réalité moins d’un manque de personnel que d’une mauvaise répartition de ces professionnels formés et qualifiés.
De nos jours, les jeunes médecins s’installent de préférence dans les aires urbaines des villes où ils ont étudié, donc près des grands Centres Hospitaliers Universitaires. De ce fait, les métropoles se retrouvent avec trop de médecins qui vivent souvent mal de leur métier parce qu’ils trouvent trop peu de patients, quand les populations des autres territoires peinent à dénicher un médecin traitant – premier maillon de notre parcours de soins, rappelons-le !
Comme pour de nombreuses professions, la conception du métier, par rapport aux décennies précédentes, est totalement différente. que le « médecin de campagne » d’il y a encore quelques temps ne comptait pas ses heures, était disponible pour ses patients sept jours sur sept, et n’hésitait pas à se déplacer, y compris dans des zones reculées ou sensibles, désormais les jeunes médecins privilégient des postes salariés, à horaires et jours fixes, et sans déplacement à domicile.
Si ceci est compréhensible du point de vue de l’évolution de la société, du droit aux loisirs et à une vie de famille de ces professionnels de santé, cela rend le problème de leur recrutement d’autant plus complexe pour les communes en recherche de candidats.
Certains médecins arrêtent également de travailler, temporairement ou définitivement, avec l’arrivée de leurs enfants ou par crise de vocation, ce qui accroît la différence entre le nombre de personnes formées et le nombres de professionnels effectivement en activité.
Dans ce cadre et face à cette situation, il y a urgence à repenser et à mettre en œuvre un maillage territorial de santé efficace et égalitaire. Il s’agit ici de prendre en considération l’ensemble de ces états de fait, mais également de dépasser tout ce qui a déjà été entrepris pour lutter contre la désertification médicale, qui a prouvé ses limites.
Aujourd’hui, le travail en commun est la règle à travers les maisons pluridisciplinaires de santé (MPS), les pôles de santé (PS), ou encore les Centres de santé polyvalent (CDSP). Plusieurs statuts permettent déjà aux médecins de se regrouper pour mutualiser les équipements et les charges du cabinet médical, tels que les GIE (Groupement d’Intérêt Économique) ou les SCP (Société Civile Professionnelle).
Une seule solution persiste ; le dernier levier d’action, à notre sens, réside dans le mode d’installation des médecins. Nous devrions instaurer, à l’instar des pharmaciens, une licence d’installation proportionnée au nombre d’habitants de chaque commune, qui empêchera les disparités entre territoires et poussera de nombreux jeunes médecins à réinvestir les campagnes, les quartiers sensibles et les villes de taille moyenne. Le modèle des pharmacies a fait ses preuves : grâce au quota d’une officine pour 3500 habitants (2500 par dérogation en rural), la distance moyenne pour se rendre dans une officine, partout en France, est de 3,8 km. Plusieurs autres professions médicales sont aussi concernées par ces quotas et ces logiques de répartitions.
Pourquoi ne pas calquer ce modèle sur les autres professions médicales et notamment les médecins ? Les structures pour les accueillir existent dans de nombreuses communes, qui ne demandent qu’à être utilisées, bien souvent assorties de conditions très attractives.
Une telle mesure serait un véritable gage d’égalité, mais également un gage de perspectives pour l’ensemble des territoires concernés par ce problème. Certes, elle obligerait certains professionnels à faire des compromis sur leur lieu d’installation, mais elle permettrait aussi à ces médecins de découvrir, de faire connaissance et de s’attacher à ces territoires où ils sont tant attendus. Les villes moyennes et la ruralité ont tant de choses à offrir.
Pour toutes ces raisons, il est urgent de réunir les acteurs de la santé mais aussi des territoires afin d’entamer une discussion pragmatique, avec toute la gravité que cette problématique requiert, et proposer dans le dialogue cette solution de dernier recours. L’accès au soin est un des piliers fondamentaux de notre Nation ; protégeons le.
Autrefois, les trois piliers de toute commune étaient le maire, l’instituteur et le médecin : remettons-les tous les trois au cœur des villages, des petites et moyennes villes, et des quartiers. Avec la présence forte dans chaque territoire de la République et de ses services publics, de l’école pour l’avenir de nos enfants, et de services de santé de proximité pour nous permettre d’y vivre mieux et plus longtemps, alors nous aurons une chance de tirer des solutions de ces pelotes incroyablement intriquées que sont les problématiques de la ruralité, comme celles des quartiers prioritaires de la politique de la ville, mais aussi, plus généralement, de chaque territoire dans ses particularités.
Philippe Folliot,
Sénateur du Tarn