Mercredi 2 février, après-midi, dans le cadre de la semaine de contrôle, les députés ont débattu de l’évolution de l’OTAN dans le prolongement du sommet de Lisbonne, évoquant des enjeux d’actualité tels que le projet de bouclier anti-missiles, le rapprochement OTAN-Russie, la reconnaissance de la complémentarité entre l’OTAN et l’Europe de la défense, l’évolution de la situation en Afghanistan et les orientations données aux forces armées françaises. Philippe Folliot, vice-président de la commission de la défense, est intervenu à la tribune de l’Assemblée comme porte-parole de son Groupe dans ce débat.
Retrouvez ci-dessous le compte-rendu de son intervention.
Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, mes premiers mots iront à nos soldats, qui exercent une activité comparable à nulle autre. Au bout de leur engagement, il y a le sacrifice suprême, le sacrifice de la vie. Je pense en particulier à celles et ceux qui, ces derniers mois, sont tombés sur les théâtres d’opération. Député de Castres, la ville du 8ème RPIMa, qui a payé un lourd tribut dans les combats de la vallée d’Ouzbine, je sais peut-être mieux que quiconque ce qu’il en est. Qu’hommage et dignité soient rendus à leur mémoire, et sentiments affectueux à leurs familles.
Certains pensent que, à la suite de la chute du mur de Berlin, nous n’avons pas touché les dividendes de la paix à hauteur de ce que nous pouvions espérer. Le monde est toujours plus difficile et incertain, ce qui justifie, de fait, notre effort de défense, même si les conflits conventionnels et « traditionnels » entre deux États-nations et des forces armées dûment structurées risquent de devenir l’exception. La règle, en effet, ce sera de plus en plus des conflits asymétriques face à des rébellions, souvent liées au terrorisme international qui agissent au milieu de populations civiles, voire en prenant celles-ci, de fait, en otage.
Nous avons tout de même touché en grande partie les dividendes de la paix, puisque, dans les années 60, nous consacrions jusqu’à 5 % de la richesse nationale à l’effort de défense alors qu’aujourd’hui, nous en sommes à moins de 2 %. Parallèlement, les États-Unis en sont à 5 %, et la Chine à plus de 8 %.
Une question se pose : pouvons-nous descendre plus bas ? Très objectivement, je ne le crois pas. Ce serait irresponsable. Tout en étant convaincu qu’il faut agir parfois différemment et, en tout état de cause, dépenser mieux faute de pouvoir dépenser plus.
Quelques jours après la réunion à Bruxelles du comité militaire de l’Alliance et quelques mois après le sommet historique de Lisbonne, le débat d’aujourd’hui nous donne l’occasion d’évoquer l’OTAN, mais également les orientations données à nos forces armées.
À l’heure du choc des civilisations et de l’éveil des peuples à la démocratie – pensons à la Tunisie et à l’Égypte –, la place et le rôle de l’OTAN, seule organisation politique et militaire de coopération qui ait survécu à la guerre froide, restent importants.
Forte de ses valeurs que sont « la liberté individuelle, la démocratie, les droits de l’homme et l’état de droit » et de son objectif immuable, défini selon les termes du nouveau concept stratégique comme « la sauvegarde de la liberté et de la sécurité de ses membres », l’Alliance a su évoluer pour s’adapter aux différentes menaces de notre temps.
J’aborderai successivement quatre points au nom du groupe Nouveau Centre : le nouveau concept stratégique ; le dialogue avec la Russie ; notre stratégie en Afghanistan ; la politique nationale de défense.
Issu des discussions du sommet de Lisbonne de novembre 2010, le nouveau concept stratégique, adopté par les chefs d’État et de gouvernement, remplace le précédent qui datait de 1999. Il a pour sous-titre « un engagement actif, une défense moderne ». Il ouvre sans nul doute une ère nouvelle pour l’OTAN.
L’accent est mis sur les nouvelles menaces et notamment sur les attaques dirigées contre le cyberespace qui se multiplient aujourd’hui. Ayons en mémoire ce qui s’est passé il y a quelques années en Estonie.
Un point retient l’attention : le système collectif de défense antimissile. Ce projet est ambitieux, pourtant, les questions relatives au contrôle politique, au financement, à la maîtrise de la technologie ou aux conséquences sur le socle de la dissuasion nucléaire ne manquent pas. Monsieur le ministre d’État, peut-être pourrez-vous nous en dire plus sur ce sujet d’importance.
Le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN a été acté en 2009. Comme vous, monsieur le ministre d’État, j’avais émis, à titre personnel, quelques réserves sur cette réintégration. Aujourd’hui, la page est tournée et la décision actée. Il serait intéressant d’avoir un impact chiffré du retour français dans le commandement intégré : combien d’officiers généraux ont été réintégrés in fine, et à quel niveau de responsabilité ?
Pour nous, centristes, l’OTAN ne doit pas être le gendarme de l’Occident, ni l’outil d’une forme de néo-impérialisme américain, ni un enjeu nous engageant dans un « choc des civilisations ». L’Alliance se doit d’être un outil de défense moderne au service de ses membres.
En outre, s’il me semble légitime d’organiser un dialogue avec l’Australie, le Japon, la Corée du Sud et la Nouvelle-Zélande, qui sont des partenaires en matière de défense et de sécurité, ces pays n’ont pas, je crois, vocation à intégrer une organisation qui couvre l’Atlantique nord.
Confrontée à la baisse des budgets nationaux de défense, l’OTAN doit dégager des moyens pour financer ses ambitions futures. Une réduction des structures de commandement était annoncée. La réintégration française et l’adoption du nouveau document stratégique devaient permettre une réforme de l’administration otanienne avec l’avènement d’un nouveau schéma. Peut-être, monsieur le ministre d’État, pourriez-vous informer la représentation nationale sur la mise en œuvre de cette réforme de l’OTAN en termes de coût de l’administration et de la bureaucratie. Qu’en est-il, par exemple, des quatorze agences, concernant près de 8 000 personnes, qui œuvrent pour le compte de l’OTAN ?
Concernant le dialogue avec la Russie, les alliés ne doivent pas refuser de discuter avec d’autres partenaires pour des raisons historiques ou idéologiques. Je pense en particulier à la grande Russie qui, qu’on le veuille ou non, est une grande puissance européenne dont nous ne devons pas nous détourner.
Je tiens, au nom du groupe Nouveau Centre et apparentés, à me féliciter de la signature, il y a quelques jours, à Saint-Nazaire, d’un accord intergouvernemental sans précédent de construction de porte-hélicoptères français Mistral, un bâtiment de projection et de commandement, pour la flotte russe. Deux navires seraient construits dans les chantiers navals français et livrés en 2014 et 2015. Deux autres navires seraient construits en Russie par un consortium franco-russe. Cet accord fait suite à l’annonce par le gouvernement russe, le 24 décembre 2010, de la victoire du consortium formé par les compagnies françaises DCNS et STX et la société russe OSK, dans l’appel d’offres portant sur la construction, pour le compte de la marine russe, de deux navires de commandement et de soutien. Il y a matière à se féliciter de cette « promesse de vente » dont vous nous direz peut-être plus, monsieur le ministre d’État, tant elle est importante sur le plan de la coopération militaire entre nos deux pays ainsi que sur le plan économique au regard des emplois qui seraient créés.
La Russie a envoyé un certain nombre de signaux positifs, notamment en ratifiant, le 28 janvier dernier, le traité START. Ce traité de désarmement nucléaire russo-américain prévoit la réduction des armes stratégiques à 1 550 têtes nucléaires maximum et des vérifications mutuelles. Cela est très bien, car c’est un rattrapage au regard des efforts unilatéraux menés par la France qui vise moins de 300 têtes nucléaires, ce qui correspond au seuil minimal en deçà duquel sa dissuasion nucléaire n’aurait plus lieu d’être.
J’ose croire que la France jouera un rôle moteur, forte de son histoire, dans le dialogue et la coopération entre l’OTAN et la Russie.
Concernant la situation en Afghanistan, je tiens à rappeler que seul le droit international sous-tend les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies et peut justifier, hors du cadre de la légitime défense, la mobilisation de capacités d’intervention. L’OTAN joue une partie de sa crédibilité en Afghanistan. La coalition compte 150 000 soldats, aux deux tiers américains.
Vous me permettrez de rendre, au nom de mes collègues du groupe Nouveau Centre et apparentés, un hommage appuyé à nos troupes présentes sur place. Elles relèvent un sacré défi compte tenu du contexte, des missions très difficiles et complexes qu’elles ont à accomplir. J’ai, du reste, eu l’occasion de rencontrer et d’échanger avec nos soldats, il y a une dizaine de jours, lors d’une mission parlementaire en Afghanistan sur les actions civilo-militaires, qui sont si importantes.
La question de l’issue du conflit et du départ d’Afghanistan se pose légitimement. Plusieurs États ont d’ores et déjà annoncé un calendrier pour retirer leurs troupes : le Royaume-Uni évoque 2015, et les États-Unis tablent sur 2014. En ce qui concerne la France, nous ne devons pas partir n’importe quand ni dans n’importe quelles conditions. Ce que nous pouvons affirmer à ce jour, c’est que nous devons poursuivre notre engagement opérationnel utilement recentré dans le secteur de Kapisa-Surobi et au niveau de Kaboul, notamment pour ce qui a trait au soutien. Je pense notamment au rôle trois, concernant l’hôpital militaire de Kaboul. Le travail d’encadrement et de formation des forces afghanes doit être prolongé et renforcé. J’ai pu le constater sur place, ces efforts commencent à donner des résultats probants.
Enfin, concernant notre politique de défense, la question de l’adéquation entre les objectifs du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et les dispositions contenues dans les lois-cadres que nous avons votées se pose. En effet, il est à craindre un effet de ciseaux entre les objectifs que nous nous sommes assignés en la matière et la révision générale des politiques publiques.
Le budget alloué à la défense en 2011 accorde une priorité à l’équipement, avec près de 16 milliards d’euros, qui s’accorde avec l’évolution définie par la loi de programmation militaire. J’avais pu saluer cet effort d’équipement lors des discussions budgétaires.
En conclusion, je souhaiterais profiter de ce débat sur l’OTAN et les orientations données à nos forces armées pour rappeler d’un mot le besoin d’une Europe de la défense forte et visible. Cette Europe de la défense que nous, centristes, appelons de nos vœux depuis fort longtemps, ne doit pas rester un vœu pieux ; elle a toute sa place et sa légitimité, aux côtés de l’OTAN dans un premier temps.
J’en veux pour preuve le partenariat historique franco-britannique en matière de défense, de sécurité et de coopération nucléaire, qui a été signé en 2010 et qui est porteur de tant d’espoirs pour une ambitieuse relance de la politique européenne de sécurité et de défense. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)