Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, monsieur le ministre de la défense, mes chers collègues, c’est la première fois depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 que la prolongation d’une opération extérieure, quatre mois après son début effectif, est soumise à l’approbation du Parlement en vertu de l’article 35 alinéa 3 de la Constitution.
Ce débat est ô combien ! important au moment où nombre de nos concitoyens s’interrogent légitimement sur la nature de notre intervention et à l’heure où parallèlement, l’on commence à parler d’un désengagement dans un avenir proche de nos troupes en Afghanistan.
Le progrès est considérable : nous sommes parvenus à un schéma d’équilibre. Même si l’information directe des parlementaires par l’exécutif peut, pour certains, parfois laisser à désirer, ceux qui n’ont de cesse de réclamer un débat suivi d’un vote au Parlement vont pouvoir aujourd’hui assumer clairement leurs responsabilités.
Toutefois, dans de telles circonstances, et alors que la vie de nos soldats sur le théâtre est engagée, le groupe Nouveau Centre et apparentés, autour de son nouveau président Yvan Lachaud, en appelle à l’unité nationale.
Au regard de notre rôle de premier plan, chef de file de la coalition, nous sommes regardés partout dans le monde. Les querelles de chapelles ne devraient pas avoir leur place au moment où les premiers résultats se font sentir et où les combats s’intensifient sur le territoire libyen.
Concernant le lancement de cette opération, nous saluons l’indiscutable esprit d’initiative et l’incontestable rapidité d’action et de décision du Président de la République, qui ont permis d’éviter un bain de sang à Benghazi.
Que n’auraient pas dit les bonnes âmes qui s’opposent à cette intervention si nous avions laissé faire un nouveau Srebrenica, dont nous venons de commémorer hier, tristement, le seizième anniversaire ? (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)
Monsieur le Premier ministre, l’action à la fois juste, courageuse et déterminée du Gouvernement, et notamment du ministre d’État, honore la diplomatie française, au-delà de nos frontières.
La France a fait un pari sur l’avenir en animant le groupe de contact et en étant le premier pays à reconnaître la légitimité du Conseil national de transition. Cela s’est rapidement traduit par la mise en place d’une présence diplomatique à Benghazi, fief des insurgés. Et saluons le courage et la détermination de notre chargé d’affaires, l’ambassadeur Antoine Sivan, qui dans des conditions difficiles et périlleuses, sous la protection du GIGN, assume une mission complexe qui fait honneur à nos diplomates.
Je souhaite, au nom du groupe centriste – et je suis convaincu que nous nous retrouvons tous quels que soient les bancs sur lesquels nous siégeons –, rendre un hommage solennel aux femmes et aux hommes engagés dans nos forces maritimes et aériennes sur ce théâtre. Souvent jeunes, c’est avec le professionnalisme et le courage qui les caractérisent qu’ils défendent le droit international, les couleurs de la France et les valeurs de la République sur ce théâtre d’opérations extérieures.
Il y a quinze jours, en visite à la base aérienne 115 à Orange, j’ai pu personnellement mieux me rendre compte de la nature de leur engagement, des moyens mis en oeuvre et du caractère particulièrement délicat de leur action. Ayant partagé avec eux un vol d’entraînement sur Mirage 2000, j’ai pu prendre conscience de l’extrême difficulté de la tâche d’un pilote de chasse, puisque les décisions sont prises dans des conditions hors norme, en une fraction de seconde, avec des conséquences d’autant plus importantes que les forces kadhafistes se sont insérées au milieu de la population civile, n’hésitant pas à se servir de boucliers humains.
Déjouant les velléités de certains agitateurs islamistes, nous devons saluer le vent de liberté et de démocratie qui souffle dans le monde arabe. Hier, ce sont des régimes archaïques – je pense à la Tunisie et à l’Égypte – qui se sont écroulés tels des châteaux de cartes. Aujourd’hui, les insurrections libyenne, syrienne, yéménite et autres se heurtent à l’acharnement sanguinaire du pouvoir en place.
En Tunisie comme en Égypte, la communauté internationale a soutenu les aspirations de la rue, en condamnant avec fermeté l’action des forces de sécurité lorsqu’elles ont eu recours à la violence pour mettre un terme aux manifestations. À Tunis et au Caire, les autorités militaires ont joué un rôle essentiel en refusant de retourner leurs armes contre leur propre population pour éviter la perspective d’un bain de sang.
Mais, dans ce formidable élan sur la rive sud de la Méditerranée, force est de constater que les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets.
Comment ne pas parler du Maroc ? La liberté et la démocratie y progressent depuis plus d’une décennie. La récente modification de la Constitution du royaume a été unanimement saluée.
J’ai d’ailleurs eu l’honneur, mes chers collègues, de me rendre en juin dernier dans ce pays, afin de vous représenter lors du séminaire des fonctionnaires des parlements francophones de la Méditerranée qui se tenait à Rabat. J’ai pu y mesurer la soif de changement dans la paix et la stabilité ainsi que les attentes de la société civile, le volontarisme de la classe politique et le large consensus autour du roi Mohammed VI.
Quant à la Syrie, le régime en place écrase sa population dans un bain de sang honteux. La situation est d’autant plus grave qu’à la différence de l’insurrection libyenne, le Conseil de sécurité des Nations Unies est divisé, bloquant le cadre juridique de toute intervention. Nous regrettons à cet égard la position ambiguë de la Russie et détestable de la Chine, qui a peur des légitimes aspirations démocratiques de son propre peuple.
Les événements d’hier, près de l’ambassade de France, doivent être fermement condamnés, car contraires aux principes élémentaires du droit international relatifs à l’extraterritorialité des représentations diplomatiques. Notre ambassadeur a eu raison de se rendre dans la ville de Hama pour apporter son soutien au peuple syrien (Applaudissements sur les bancs du groupe NC) car notre opinion publique a du mal à saisir le fait qu’il y ait, selon elle, deux poids deux mesures entre Libye et Syrie, alors que Bachar-el-Assad et son régime ne valent pas mieux que Kadhafi et ses sbires !
Concernant la Libye, aujourd’hui, je parle d’autant plus librement du colonel Kadhafi que j’avais pu, à titre personnel, émettre en 2008 des réserves sur le bien-fondé de sa venue sur notre sol. Ce débat est maintenant derrière nous.
Le massacre du peuple libyen par Kadhafi et les siens n’a que trop duré. Ce dictateur, dirigeant d’un autre âge, doit partir !
Il faut le reconnaître : la partie s’annonce plus compliquée que prévu. Kadhafi, qui prend en otage une partie de la population civile, a des ressources, des armes et des mercenaires. Les insurgés se forment, eux, sur le tas. La bonne volonté, l’enthousiasme et la ferveur révolutionnaire montrent leurs limites face aux nervis d’un dictateur aux abois qui, acculé, semble prêt à tout.
Le débat d’aujourd’hui doit nous permettre de parler de capacité et de stratégie militaire.
Monsieur le Premier ministre, nous avons beau maîtriser la troisième dimension avec les technologies de défense et d’attaque les plus avancées, l’histoire montre qu’une guerre ne se gagne qu’au sol. En effet, si la force de notre appui aérien et l’efficacité de notre contrôle maritime dans le golfe de Syrte protègent mieux les populations civiles et portent des coups sérieux au régime, elles ne suffiront certainement pas, seules, à venir à bout du régime arriéré de Kadhafi.
Le groupe centriste souhaiterait à ce propos interroger le Gouvernement sur l’éventuelle poursuite des parachutages d’armes légères aux insurgés qui, nous le savons, manquent cruellement de moyens logistiques et de munitions.
Les forces rebelles ont-elles aujourd’hui les moyens matériels de l’emporter ? En stratégie militaire, il est un principe : plus la situation se prolonge, plus la menace d’un enlisement devient réelle. Ce ne sont pas, vous en conviendrez, les exemples qui manquent de par le passé, au premier rang desquels figurent l’Irak et l’Afghanistan.
Force est de constater que le soutien de la communauté internationale à l’insurrection libyenne isole diplomatiquement Kadhafi, lequel n’a plus d’alliés, mais a malgré tout encore quelques moyens et soutiens.
Au regard de la longueur de l’intervention et de la difficulté d’atteindre notre objectif sur l’ensemble du territoire libyen, la question des moyens humains, logistiques et budgétaires se pose de manière légitime.
Le financement des opérations extérieures, sous-budgétisées en loi de finances initiale, est un problème. Pour le groupe centriste, attaché à la discipline et à la sincérité budgétaire, cette question se pose avec acuité au moment d’autoriser la prolongation de l’intervention militaire en Libye.
Pouvez-vous, monsieur le Premier ministre, nous détailler le coût à ce jour de l’intervention en Libye ? Quels moyens financiers supplémentaires seront mis en oeuvre pour faire face, et jusqu’à quand ?
Monsieur le ministre de la défense, avec ce conflit nous consommons beaucoup de potentiel. Pouvez-vous nous préciser les conséquences sur le MCO – le maintien en condition opérationnelle – de nos équipements ? La presse s’étant par ailleurs fait l’écho d’une forte diminution de nos stocks de certaines munitions et de l’appel à la solidarité européenne en la matière, qu’en est-il ? De plus, pouvez-nous dire si nous avons un minimum de forces spéciales ou de GITAC présents sur le territoire libyen ?
Nous dénonçons les querelles dérisoires développées par certains, critiquant le déploiement de nos hélicoptères d’attaque, qui font pourtant un travail remarquable, au motif qu’ils constitueraient une forme d’intervention au sol. Mes chers collègues, jusqu’à preuve du contraire, un hélicoptère vole ! (Rires sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
Le conflit libyen a déjà fait plusieurs milliers de morts. La guerre ne doit pas s’éterniser. Déjà quatre mois ! Ce sont évidemment quatre mois de frappes militaires ininterrompues, quatre mois que nous aurions préféré ne pas connaître, mais quatre mois nécessaires pour soutenir le peuple libyen dans sa quête de liberté.
La situation des populations civiles devient d’autant plus préoccupante que le conflit perdure et que le régime de Kadhafi se livre à d’abominables exactions.
Le groupe centriste souhaite condamner avec la plus grande fermeté les actes de barbarie qui se produisent en marge du conflit libyen. Si de tels faits sont avérés, il incombe à la Cour pénale internationale de s’en saisir, d’enquêter et de poursuivre, comme elle vient de le faire à l’encontre de Kadhafi, de l’un de ses fils et de quelques hauts dignitaires, qui sont sous le coup d’un mandat d’arrêt international.
Monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, nous devons revenir à l’objet de notre intervention militaire : la légalité internationale, à savoir la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations Unies. Que prévoit cette résolution ?
En droit international, le respect de la souveraineté des États empêche toute forme d’ingérence dans leurs affaires intérieures.
Toutefois, lorsqu’un régime est déterminé à massacrer sa propre population – ce qui est le cas –, un principe l’emporte par-dessus tout : la responsabilité de protéger. C’est cet esprit qui sous-tend le texte de la résolution 1973 laquelle permet aux alliés de prendre « toutes mesures nécessaires » pour faire cesser le bain de sang.
Pour nous, seule la légalité internationale peut encadrer une opération extérieure. En l’espèce, avoir une vision ou une interprétation extensive de la résolution onusienne ne peut et ne doit en aucun cas signifier s’en écarter.
Aux côtés de nos alliés, du Royaume-Uni au premier chef et des États-Unis, mais aussi du Liban, dont le rôle au Conseil de sécurité a été déterminant, la France a permis de traduire les discours en actes par le vote de la résolution 1973, qui a donné le cadre juridique et la légitimité à notre intervention.
Sans nos alliés, nous ne serions que peu de chose. Notre groupe en profite pour saluer 1’esprit de responsabilité de nos partenaires qui ont voté en faveur de la résolution 1973 et le courage de ceux qui sont aujourd’hui à nos côtés pour la mettre en œuvre, notamment les Émirats Arabes Unis et le Qatar.
Comme toutes les coalitions, le fonctionnement de celle-ci, emmenée de fait par l’OTAN, est perfectible. Des ajustements sont certainement nécessaires. À ce stade, nous, centristes, européens convaincus, regrettons singulièrement qu’un certain nombre de nos partenaires de l’Europe, Allemands en tête, ne nous aient pas suivis dans cette démarche. Ainsi, nous aurions posé une première pierre pour la mise en oeuvre de la politique européenne de sécurité et de défense si chère à nos coeurs.
Si Kadhafi restait en place alors qu’une coalition internationale agissant sous l’égide des Nations unies est venue en aide à son peuple, ce serait un cuisant échec.
S’il reste en place, le dictateur mégalo de Tripoli massacrerait des populations qui ont eu le courage de se mobiliser pour leur liberté. Dans l’hypothèse d’un maintien au pouvoir de Kadhafi, cette hypothèse de l’impensable, un terrible coup serait porté aux autres pays arabes. En effet, à l’heure où la rue syrienne est sévèrement réprimée dans le sang, quel funeste signal la communauté internationale ne donnerait-elle pas en assistant à une victoire du dictateur de Tripoli.
Le conflit ne doit pas déboucher sur une instabilité politique dans ce pays aux portes de l’Europe. Nous aurions trop à y perdre.
Toutefois, dans la recherche d’une solution politique, n’oublions pas que ce pays, historiquement composé de trois entités distinctes, Cyrénaïque, Fezzan et Tripolitaine, peut, dans une option confédérale, trouver l’amorce d’une solution.
La question du retour d’expérience, des enseignements, des leçons à tirer du conflit libyen viendra : en termes de budget de la défense, de formation de nos personnels, d’utilisation de nos matériels et moyens logistiques. Nous ne pouvons manquer, à tous les niveaux, le coche de la sortie de crise libyenne. Nous devons d’ores et déjà y réfléchir, car il faut la préparer. Que la solution soit politique ou militaire, ou les deux.
La communauté internationale doit se trouver rassemblée pour la sortie de crise, de la même façon qu’elle a su se mobiliser avec rapidité dans les premiers jours de l’insurrection.
D’un point de vue politique, il faut poursuivre le soutien et l’accompagnement de l’action du Conseil national de transition. Pouvez-vous, monsieur le ministre d’État, nous indiquer quelles seront les propositions de la France lors de la prochaine réunion du groupe de contact ce vendredi 15 juillet à Istanbul ?
Du point de vue économique, nos entreprises, avec leur formidable volonté d’innover, ne peuvent être trop absentes ou en retard le moment venu de l’après-Kadhafi, comme et c’est un regret – elles l’ont été dans le passé au Koweït ou dans les Balkans et aujourd’hui en Irak.
Quand on voit par exemple l’activisme chinois pour faire des propositions de services du côté de Benghazi, il ne faudrait pas qu’après avoir fait l’essentiel du difficile travail d’autres en profitent indûment.
Monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, la France est grande lorsqu’elle est, elle-même, aux côtés des peuples et de leur quête de liberté, lorsqu’elle assume ses responsabilités internationales singulières de membre du Conseil de sécurité de l’ONU.
Devant l’impérieuse responsabilité de protéger les populations démunies face au délire fou d’un dictateur usé, le groupe Nouveau Centre et apparentés approuve la déclaration du Gouvernement relative à la poursuite de l’intervention de nos forces armées en Libye.