A l’occasion d’une interview accordée récemment à la revue Marine et Océans, Philippe Folliot dresse le bilan de l’intervention française en Libye :
Sait-on à combien s’élève, à la fin octobre 2011, le coût de l’engagement français en Libye et à quelle ligne budgétaire est affectée cette dépense ?
Il est difficile de répondre très précisément à cette question mais le coût total des opérations menées en Libye est de l’ordre de 330 millions d’euros, ce qui représente près de la moitié des dépenses annuelles destinées aux opérations extérieures.
Le coût de la guerre en Libye aura-t-il un impact sur le budget de la défense 2012 ? Plus largement, la France a-t-elle atteint avec ce conflit la limite de ses capacités d’intervention ?
Comme vous le savez le budget de la défense est le troisième poste budgétaire de l’État avec près de 37 milliards consacrés à nos trois armées. Compte tenu du contexte financier et budgétaire au sein duquel se trouve actuellement la France, il est difficilement envisageable d’augmenter les sommes allouées à notre défense. D’autre part, il semble que la France soit proche de ses limites sur le plan opérationnel et capacitaire. Et ce, eu égard au contexte financier que j’évoquais, mais aussi au déploiement de ses troupes dans le cadre des opérations extérieures menées en Afghanistan, au Liban, en Côte d’Ivoire…qui mobilisent au total, dans le cadre des OPEX et des forces de présence et de souveraineté, près de 11 000 soldats français hors de l’hexagone.
Quelles ont été, selon vous, les insuffisances capacitaires mises à jour par cette intervention militaire en Libye, pour la France d’une part et pour l’Europe d’autre part ? les pays européens (France et Grande-Bretagne en tête) n’auraient en effet pas pu mener cette opération à ce rythme sans les capacités américaines en matière satellitaire ou de ravitaillement en vol pour ne citer que celles-là ?
Il me semble important de noter que cette opération a montré le très grand savoir-faire de notre armée, qu’il s’agisse de la Marine Nationale, de l’Armée de l’air ou des éléments de l’Aviation Légère de l’Armée de Terre (ALAT). Nos matériels, en particulier le Rafale, ont montré l’étendue de leur capacité opérationnelles, leur polyvalence ainsi que leur grande efficacité. Ils ont donc été à la hauteur de ce que l’on était en droit d’espérer. Notre action menée dans le cadre coopératif avec nos alliés (Britanniques en particulier) s’est également révélée de très grande qualité. Sur le plan national et bilatéral (principalement dans le cadre de la coopération franco-britannique, et avec les Etats-Unis ne l’oublions pas) ce fut donc un succès incontestable.
Sur le plan capacitaire pourtant, cette intervention a montré les limites, voire l’absence totale de coopération militaire au niveau communautaire. Sur le plan décisionnel nous avons été incapables d’aboutir à une réponse concertée au nom de l’Union, et encore moins de mener une opération conjointe. Hélas, une fois encore la solution fut une réponse apportée dans le cadre de l’OTAN et non dans celui de l’Europe à proprement parlé, ce qui est une nouvelle occasion manquée pour la PESDC (Politique Européenne de Sécurité et de Défense Commune). Bien qu’elle fut relativement modeste, la participation américaine a en effet été déterminante. Mais il ne faut cependant pas négliger le fait que le couple franco-britannique a fait montre d’une très grande aptitude opérationnelle.
Comment analysez-vous le relatif effacement des Etats-Unis dans ce conflit ?
Les Etats-Unis ont effectivement été en retrait au cours de cette opération. Pour ma part j’analyse cela comme la résultante de deux phénomènes : l’hostilité de l’opinion publique et le désengagement des troupes américaines. Je pense tout d’abord que l’opinion publique était peut encline à une nouvelle intervention au sein d’un pays arabe après une décennie de guerres qui endeuillèrent plusieurs milliers de familles américaines. Le président Obama, me semble-t-il, devait donc ménager une population frileuse qui craignait un nouvel enlisement. D’autant que le pays est confronté depuis 2008 à une grave crise économique qui constitue la priorité des instances dirigeantes et de la population. D’autre part, la présidence Obama a entamé un retrait d’Irak (en cours de finalisation) et d’Afghanistan. Ce dernier devant s’échelonner jusqu’en 2014, date à laquelle les troupes américaines auront totalement quitté le pays. Je pense donc qu’à l’heure de ce désengagement, l’ouverture d’un nouveau front, ou tout du moins un engagement plus prononcé de leur part, aurait été en décalage par rapport à la dynamique en cours. Par ailleurs, l’ombre de la Syrie plane sur ce conflit et compte tenu de l’implication américaine au Moyen Orient, les États-Unis n’ont peut-être pas voulu compromettre leurs intérêts par une participation trop active au sein du conflit libyen.
Que va retirer la France de cette intervention sur chacun des plans suivants : politique, militaire et commercial ?
D’abord, je pense que la France retirera de cette opération un avantage politique. Elle nous a permis en effet de pallier les premières réactions chaotiques de la diplomatie française lors des prémices de ce que l’on appelle depuis le Printemps arabe. Cela montre que la France demeure fidèle à ses valeurs et qu’elle est encore en mesure de les défendre, comme elle le fit à de nombreuses reprises tout au long de son histoire. Ce qui a, me semble-il, un impact positif sur l’image de notre pays à l’échelle internationale, et en particulier au sein du monde arabe. Cette opération fut en outre une occasion de prouver que la France demeure une puissance militaire, dotée d’un excellent savoir-faire technique et opérationnel et disposant de matériels de très grande qualité. Je pense également que ce fut une très bonne occasion de concrétiser le pacte stratégique qui lie depuis novembre 2010 la France et le Royaume-Uni. Les deux pays ont en effet pris conscience du risque de déclassement de leurs puissances au profit de certains pays émergents et ont trouvé une solution pertinente pour constituer un pôle militaro-stratégique de premier plan. Et ce au sein d’une Europe qui ne cesse de désarmer et qui demeure incapable de construire une Europe de la défense digne de ce nom. Paris et Londres cherchent donc à pérenniser leur statut de puissance de premier plan (qui leur est de plus en plus contesté) en mutualisant leurs efforts, ce qui doit leur permettre de maintenir d’importantes capacités militaires, alors même que les deux pays font face à une situation économique difficile et qu’ils doivent gérer de lourdes contraintes budgétaires.
Sur le plan commercial enfin, il semble que les firmes françaises sont en passe de s’implanter de manière plus profonde qu’elles ne l’étaient en Libye (Total en particulier) et qu’elles bénéficieront de manière générale de la bienveillance du CNT. Trop souvent dans le passé nous avons risqué la vie de nos hommes et payé des sommes colossales sans que nos intérêts financiers soient défendus par la suite. J’ai d’ailleurs relevé ce problème au sein d’un rapport parlementaire sur les actions civilo-militaires que j’ai rédigé et publié à l’été 2011. Si la France a combattu pour une juste cause, pourquoi devrions-nous avoir honte que nos intérêts économiques et financiers en sortent renforcés ?! Nous ne pouvons que nous en réjouir, d’autant que cela serait plus que positif dans le contexte actuel pour nos entreprises comme pour nos concitoyens.