Dans le cadre de différentes auditions menées par la commission de la défense et des forces armées de l’Assemblée nationale, Philippe FOLLIOT a eu l’occasion d’interpeller différentes acteurs militaires de premier plan. Ces auditions lui ont permis de questionner ces différents interlocuteurs sur des thématiques dont dépend la future politique française de défense. En tant que secrétaire, il a questionné de nombreuses fois Monsieur Jean-Yves LE DRIAN, Ministre de la défense, sur la situation au Mali et sur l’évolution des troupes françaises. Il a ensuite pu interroger différents syndicats professionnels du Ministère de la défense dans le cadre de la rédaction du futur libre blanc. Il a aussi pu évoquer les différentes missions de renseignement, de sécurité du territoire en questionnant M. Jean-Baptiste Carpentier, directeur du service TRACFIN (traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins) ou encore Patrick Calvar, directeur central du renseignement intérieur (DCRI) au ministère de l’Intérieur, M. Érard Corbin de Mangoux, Prefet et Directeur général de la sécurité extérieure (DGSE) au ministère de la Défense, M. Didier Bolelli, général et directeur du renseignement militaire (DRM) au ministère de la Défense, ou enfin, M. Jean-Paul Garcia, directeur national du renseignement et des enquêtes douanières au ministère de l’Économie et des finances (DNRED).
Vous pouvez lire ci-dessous la transcription des auditions menées ci-dessus :
Audition de M. Jean-Baptiste Carpentier, directeur du service TRACFIN (traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins) du mercredi 13 mars 2013
M. Philippe Folliot. Les frontières n’existent pas pour le terrorisme qui se finance en interne comme à l’extérieur. Trouvez-vous des relais auprès des groupes d’intervention régionaux (GIR) ? Ils peuvent aider à remonter jusqu’aux délinquants et aux criminels dans la mesure où les trafics alimentent aussi le terrorisme.
M. Jean-Baptiste Carpentier. Nous avons évidemment des liens avec l’ensemble des autorités de police et de gendarmerie ou les douanes, ainsi que des relations privilégiées avec l’autorité judiciaire. Mais tout ce qui leur échoit ne nous concerne pas et, en principe, en tant que service de renseignement, nous travaillons en amont par rapport aux GIR et plus généralement par rapport aux autorités policières ou judiciaires. Cela étant, vous avez souligné la porosité croissante entre financement national et financement étranger, et, à l’intérieur des frontières, entre délinquance et terrorisme. Au-delà du cas corse qui est atypique – il s’agit bien plus de délinquance que de terrorisme –, le terrorisme islamiste entretient des liens de plus en plus étroits avec la délinquance de droit commun. Ainsi, le travail au noir peut être organisé par des réseaux extrêmement structurés occupant des milliers de personnes et brassant des millions d’euros. Des sociétés éphémères s’organisent en réseau et fonctionnent quelques mois, en franchise fiscale et sociale. Elles recrutent sur les parkings de certains supermarchés des centaines d’esclaves – il faut appeler les choses par leur nom – qui sont payés avec de l’argent liquide provenant parfois du trafic de drogue. Nous identifions des filières communautaires montées par des ressortissants de pays sensibles, je pense aux Pakistanais particulièrement bien organisés, et nous décelons des circuits de dérivation qui aboutissent à des associations fondamentalistes. Ce cas de figure est de plus en plus fréquent. Plus généralement, le financement de certains lieux de culte musulman, et de certaines structures associatives cultuelles, suscite bien des questions. Il y a un peu plus d’un an, nous avons relevé qu’une association de financement d’un lieu de culte avait recueilli plus d’un million d’euros en liquide en vingt-quatre heures. Vous comprendrez ma perplexité compte tenu de la porosité entre la délinquance de droit commun et le financement de certaines mouvances radicales. Il ne faut pas négliger que c’est aussi une façon de s’acheter une bonne conscience : quand on se livre au trafic d’êtres humains, par exemple, qui n’est recommandé par aucune des grandes religions, on achète sa conscience en subventionnant telle ou telle structure prétendument religieuse, indirectement affiliée à des terroristes. De même, il est clair que la délinquance criminelle qui sévit dans une de nos îles méditerranéennes se trouve une justification « morale » en détournant quelques centaines de milliers d’euros pour la « Cause » alors que le reste est investi dans des filles et dans du jeu. Nous recevons deux types d’information. D’une part, l’information classique qu’une traduction maladroite a baptisée « déclaration de soupçon » alors qu’il s’agit plutôt de l’expression d’un doute. En bref, lorsqu’un intermédiaire nourrit un doute sur la légitimité d’une opération qu’il effectue pour le compte d’un client, il doit produire une déclaration. Le terme « soupçon » est trop fort car il est plutôt du ressort du procureur de la République. Cette erreur sémantique a conduit à une conception initiale étriquée de la déclaration. Maintenant, et compte tenu du recul dont nous disposons, la pratique de cette procédure se rapproche des standards internationaux. Nous recevons de l’ordre de 30 000 déclarations de soupçon par an. Elles retracent des opérations atypiques au regard du profil du client. C’est en quelque sorte un système de radar, qui répond à la fois à des critères objectifs – les caractéristiques intrinsèques d’une opération qui s’écarte d’un schéma habituel au regard du profil de clientèle de la personne concernée – et parfois plus évanescents en fonction de la connaissance que peut avoir le déclarant de son client.
Audition de M. Patrick Calvar, directeur central du renseignement intérieur (DCRI) au ministère de l’Intérieur du mardi 26 février 2013
M. Philippe Folliot. Le dernier Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale insistait sur la nécessité d’un continuum entre défense et sécurité, la mutualisation des moyens devant permettre de faire face aux menaces de toutes sortes – terrorisme, cybercriminalité, espionnage économique. Ne peut-on craindre toutefois que d’autres que nous se défendent mieux en étant plus discrets ? Ne faisons-nous pas preuve d’une certaine naïveté dans un monde où nombreux sont ceux qui cherchent à nous déstabiliser ? Les moyens dont vous disposez pour sensibiliser les entreprises aux menaces qui pèsent sur elles et pour les doter des capacités qui leur permettraient de se défendre sont-ils adaptés aux besoins ? Par ailleurs, pensez-vous qu’un cas semblable au cas Farewell, dont on sait la considérable importance géostratégique qu’il a eue pour notre pays, pourrait se reproduire ?
M. Patrick Calvar. Le renseignement n’a pas de lettres de noblesse en France. La sécurité est d’abord affaire de comportement, et c’est par l’éducation qu’il faut commencer. Nous avons la capacité de sensibiliser les entreprises mais, j’y reviens, nous devons ouvrir notre maison de manière que, quand nous nous adressons à un banquier, nous parlions le même langage que lui, au lieu de passer pour des paranoïaques. Nous faisons donc face à un triple problème : crédibilité, comportement sécuritaire, adaptation de nos moyens. Quand on parle d’« intelligence économique », il conviendrait de rappeler que l’on parle de défense économique. La plupart des grandes entreprises françaises savent se protéger car elles redoutent la concurrence. C’est en matière de brevets que les difficultés apparaissent : par méconnaissance du système international, elles peuvent se faire piller. D’autre part, d’assez nombreuses PME performantes mais désargentées sont ciblées par des intérêts économiques étrangers. La véritable difficulté est de déterminer s’il s’agit d’une concurrence normale ou d’autre chose. Nous transmettons un message, mais il revient ensuite à chaque entreprise de développer sa culture de sécurité.
Audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, pour un point hebdomadaire sur l’opération Serval au Mali du mercredi 20 février 2013
M. Philippe Folliot. Notre solidarité avec nos forces armées doit être d’autant plus forte qu’elles commencent à affronter directement les terroristes. L’accrochage d’hier est d’ailleurs une victoire, en ce qu’il montre l’échec de la stratégie d’évitement que les terroristes mènent depuis le début. Il faut rendre hommage au parachutiste tué, mais l’on ne peut que saluer l’élimination de 25 terroristes. La transformation de la MISMA en MINUMA m’interroge. Quel rôle jouent actuellement les forces tchadiennes, qui, sans faire partie de la MISMA, sont présentes sur le terrain et particulièrement réputées ? Sont-elles engagées dans les opérations, et avec quels résultats ? Peut-on compter sur la présence du Tchad au sein de la future MINUMA ?
M. le ministre. Monsieur Folliot, les récents événements signent, en effet, l’échec de la stratégie d’évitement et valident notre tactique militaire. Aujourd’hui, 1 800 Tchadiens se trouvent sur le terrain. Ces soldats très aguerris n’appartiennent pas à la MISMA – car le Tchad ne fait pas partie de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CÉDÉAO) –, mais interagissent directement avec nous. Leur intégration à la MINUMA dépendra du souhait du président Idriss Déby, mais également de la capacité des forces tchadiennes à satisfaire aux critères de l’ONU en matière de compétence, mais également de moralité et de respect du droit. En attendant la résolution de l’ONU, puis sa mise en œuvre, cette question reste en suspens.
Audition du préfet Érard Corbin de Mangoux, Directeur général de la sécurité extérieure (DGSE) au ministère de la Défense du mercredi 20 février 2013
M. Philippe Folliot. Je souhaite tout d’abord m’associer aux propos de mes collègues sur la Somalie. La France sera respectée si elle démontre qu’elle est à même de traquer ceux qui ont attenté à la vie de ses ressortissants. Êtes-vous en mesure de m’assurer qu’à terme les responsables du sort de notre compatriote seront châtiés ? Ma deuxième question porte sur le sens civique de nos concitoyens : le flux d’informations spontanées que vous recevez de cadres, de chefs d’entreprises, de fonctionnaires, de militaires, de touristes est-il le même que par le passé en quantité et en qualité ? Enfin, un « Farewell » chinois est-il possible ?
M. Érard Corbin de Mangoux. Quant à la Somalie, la France ne se venge pas. Elle mènera, dans la Corne de l’Afrique, le combat anti-terroriste à son terme pour défendre ses intérêts. Pour répondre à la question relative aux honorables correspondants : ce ne sont pas des contractuels et ils ne sont pas rétribués. Il s’agit de citoyens français, au sens civique particulièrement développé, qui n’attendent rien en retour. On observe d’ailleurs un niveau raisonnable de sens civique dans notre pays, même s’il peut être inférieur à celui observé dans d’autres pays comme le Royaume-Uni. En ce qui concerne les services russes, la DGSE et la DCRI ont noué une coopération avec le Service fédéral de la sécurité de la fédération de Russie (FSB) qui s’inscrit notamment dans la perspective des jeux olympiques de Sotchi en 2014. Quant à un « Farewell » chinois, il est toujours possible.
Audition du général Didier Bolelli, directeur du renseignement militaire (DRM) au ministère de la Défense du mercredi 20 février 2013
M. Philippe Folliot. La DRM exerce à la fois des missions préventives, antérieurement à des opérations militaires ou pour assurer la veille stratégique, et des missions qui font suite aux opérations militaires. Comment s’organisent-elles et se déroulent-elles ? En d’autres termes, de quelles capacités disposons-nous pour traquer, postérieurement, ceux qui ont mené des actions contre la France afin d’éviter qu’ils ne tentent de les renouveler, craignant désormais nos réactions ? La DRM est-elle impliquée dans de telles missions ? Comment se passent vos relations avec les services de renseignements chinois ?
Général Didier Bolelli. Nos besoins en personnel supplémentaire résultent de la rapide augmentation du nombre de dossiers que nous avons à traiter. Depuis ma prise de fonctions il y a trois ans, je n’ai connu que des situations de crise, faisant se succéder les cellules du même nom, fonctionnant 24 h sur 24 : Afghanistan, Côte d’Ivoire, Libye, République centrafricaine, la Somalie par intermittences du fait de la piraterie le long de ses côtes, et maintenant le Mali. Or nos ressources en personnels étant forcément limitées, je me vois souvent contraint de basculer des agents de la fonction d’anticipation stratégique vers la fonction d’appui aux opérations. Nous avons surtout besoin d’analystes « renseignement » et de spécialistes du domaine de l’imagerie, car Musis nous fournira davantage d’images, et surtout de linguistes. En effet, il faut se préoccuper des éventuelles crises à venir. C’est pourquoi nous avons besoin d’interprètes en chinois, en persan, etc. Or il s’agit de langues rares, difficiles et qui ne s’apprennent pas en six mois. Nous ne pouvons non plus dépendre de ressortissants locaux dont la fiabilité est plus difficile à évaluer. La DRM intervient sur les théâtres d’engagement de nos armées. Les opérations terminées, nous continuons de suivre la situation sur place mais sans recourir à des agissements clandestins. En cas de besoin, nous mettons bien sûr nos moyens techniques à la disposition de la DGSE.
Audition de M. Jean-Paul Garcia, directeur national du renseignement et des enquêtes douanières au ministère de l’Économie et des finances (DNRED) du mardi 12 février 2013
M. Philippe Folliot. Les groupes d’intervention régionaux (GIR) ont été créés pour lutter contre la délinquance sous toutes ses formes grâce à un regroupement des services de la police, de la gendarmerie, des douanes et du fisc. Cette coordination des moyens a permis d’obtenir des résultats non négligeables, notamment en matière de revenus dissimulés. Une semblable coordination permet-elle de s’attaquer aux sources des revenus des groupes terroristes islamistes, la frontière entre le combat fondamentaliste et le narcotrafic étant plus que poreuse ?
M. Jean-Paul Garcia. L’argent est évidemment une de nos préoccupations majeures mais les résultats pourraient être meilleurs. Afin de renforcer l’action de la division d’enquête chargée du suivi des mouvements financiers, nous avons créé la semaine dernière au sein de la direction des opérations douanières (DOD) un groupe de lutte contre les circuits financiers clandestins. Par ailleurs nous travaillons en liaison étroite avec TRACFIN sur de nombreux objectifs. Ce service de renseignement ne peut cependant légalement aller aussi loin que nous le souhaiterions en matière de communication des informations. Il existe également au sein de la DNRED un groupe opérationnel de lutte contre le terrorisme, composé de cinq membres, qui sont plus particulièrement attachés à la recherche d’éléments financiers en rapport avec le terrorisme. Ce groupe peut travailler en liaison avec la DGSE, DCRI et l’Unité de coordination de la lutte anti-terroriste (UCLAT) notamment.
Audition des représentants des syndicats des personnels civils du ministère de la défense : Fédération syndicale Force ouvrière de la défense, des industries de l’armement et des secteurs assimilés (FO Défense) du mercredi 6 février 2013
M. Philippe Folliot. Avec la précédente loi de programmation militaire, nous avons voulu maintenir une certaine capacité de restauration assurée par des personnels militaires, essentielle sur les théâtres d’opération. Pouvez-vous préciser quels sureffectifs militaires vous visez ? Avez-vous des exemples à fournir ? Enfin, que pensez-vous de l’économat des armées ?
M. Gilles Goulm. Dans bien des domaines, la représentation nationale comprend nos difficultés et nous aide. C’est notamment vrai pour la préservation de la fonction restauration, quand on s’orientait vers une externalisation totale, que d’ailleurs le ministre n’approuvait pas. Les données relatives aux sureffectifs militaires sont complètement opaques, alors que la transparence s’exerce parfaitement concernant les effectifs civils. Les chefs d’établissements cachent la réalité. Et j’attends toujours de voir un DRH d’armée publier une note comparable à celle du DRH du ministère que j’ai mentionnée tout à l’heure et interdisant donc tout recrutement militaire pour des fonctions sans rapport avec leur mission. Nous dénonçons fermement cette inégalité d’approche. L’économat des armées doit fonctionner normalement, ce qui exige un changement de perception de la fonction restauration au sein du ministère. Nous sommes favorables à ce que la totalité de la fonction soit confiée à la chaîne du commissariat aux armées, dont c’est le métier, afin de sortir de l’actuelle cacophonie. Dans bien des établissements, comme à Villacoublay ou à Istres, les militaires ne payent pas leurs repas alors qu’on augmente les tarifs applicables aux personnels civils. Je sais que, heureusement, la question est actuellement à l’étude au cabinet du ministre. Je ne nie pas la contrainte des restrictions budgétaires mais je dois m’élever aussi contre certains gaspillages. La rigueur doit s’appliquer également à tous. Par exemple, à quoi sert un gouverneur militaire ? Personne ne sait répondre à cette question quand je la pose. Ce qui n’empêche pas celui de Metz de disposer, pour son service personnel, d’une quinzaine d’emplois équivalents temps plein (ETP). L’armée de l’air envisagerait de dépenser plusieurs centaines de milliers d’euros pour fêter les soixante-dix ans de la patrouille de France. Ce montant inclurait une part de mécénat, mais à quelle hauteur ? Fallait-il, pour loger le commandant des forces aériennes basé à Dijon, dépenser 600 000 euros dans la rénovation de sa résidence de fonction ? Par ailleurs certains équipements opérationnels attendent d’être restaurés depuis des années. Le service d’infrastructure de la défense (SID) a donc mis « sur le haut de la pile » une dépense qui n’était ni urgente ni même nécessaire. Que je sache, nous ne sommes plus sous l’Ancien Régime ! Le taux d’encadrement des personnels civils du ministère de la défense a augmenté en raison de la requalification des agents de la filière administrative. Ce qui n’était pas un luxe quand vous aviez 30 propositions d’avancement pour 18 000 postulants possibles ! D’où les passages de catégorie B en catégorie A. Mais la Cour des comptes signale aussi que la masse salariale des personnels civils a diminué, tandis que celle des officiers a progressé de 4,7 % en un an. À un tel rythme elle doublera en dix ans. Veut-on faire une armée mexicaine ? Sinon, comment expliquer un tel dérapage ?
Audition de M. le préfet Ange Mancini, Coordonnateur national du renseignement du 5 février 2013
M. Philippe Folliot. Dans un monde de bisounours, nos pays n’auraient pas besoin du renseignement, mais tel n’est pas le cas ! Ne sous-estimez-vous d’ailleurs pas l’importance du renseignement dans l’histoire des démocraties occidentales – pensons à l’affaire Farewell – et donc votre propre influence ? Saurons-nous conserver notre équilibre propre, entre le tout-technologique à l’américaine et les moyens humains si nécessaires pour exploiter la masse des informations recueillies ? Au mois d’octobre dernier, la France a « traité » les derniers commanditaires de l’embuscade de la vallée d’Uzbin : nos ennemis doivent savoir que jamais la France ne fera preuve de la moindre faiblesse face à ceux qui attentent à la vie de nos soldats, et de nos ressortissants.
M. Ange Mancini. Le renseignement sert la politique de la France, aide à prendre de bonnes décisions et donc à servir au mieux l’intérêt général. L’aspect humain est bien sûr tout à fait essentiel : c’est pourquoi nous avons construit une agence intégrée à un service plus général, et mutualisée, plutôt qu’une agence technique indépendante. C’est l’erreur qu’ont commise les Américains avant le 11 septembre qui se reposaient uniquement sur la technique. La technique permet beaucoup, mais rien ne remplace l’analyse humaine. Vous avez raison, il est bon que ceux qui, partout dans le monde, pourraient être concernés sachent que la France réagira toujours à une agression contre l’État ou ses ressortissants. Je n’évoque pas ici l’opération récemment menée en Somalie puisque vous allez auditionner le directeur général de la DGSE : je veux juste dire qu’il s’agissait, selon moi, d’une très belle opération.
Audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, pour un point hebdomadaire sur l’opération Serval au Mali du 5 février 2013
M. Philippe Folliot. L’UDI soutient l’intervention française, dont vous avez eu raison de dire qu’elle était loin d’être terminée, nos adversaires pouvant se réfugier dans le désert et les montagnes. Souhaitez-vous utiliser les moyens des actions civilo-militaires ? Avons-nous des assurances sur la nature de l’implication des autorités algériennes pour résoudre ce conflit ?
M. le ministre. Au-delà de l’enthousiasme extraordinaire de la population à l’égard de nos forces sur place – qui les encourage, de même que les forces maliennes –, il faut garder son sang-froid, car il reste à conquérir l’Adrar des Ifoghas où se sont repliés les djihadistes les plus radicaux : après nos frappes aériennes, il faudra peut-être aussi être présents au sol, ce qui est complexe et demandera du temps. La manière habile utilisée par les plus hauts responsables de nos armées me rend optimiste, mais de façon mesurée compte tenu de ces difficultés. Je suis favorable à des actions civilo-militaires, mais aussi à des actions civiles : nos militaires n’ont pas vocation à faire de l’humanitaire, en dehors des missions d’accompagnement immédiat. J’ai été rejoint sur place par le ministre délégué chargé du développement, M. Pascal Canfin, qui a lancé l’initiative de réunir au mois de mars toutes les collectivités locales ayant des relations historiques avec le Mali – il est d’ailleurs aujourd’hui à Bruxelles pour donner une dimension européenne au dispositif. Nous voudrions que l’ensemble des collectivités qui ont été présentes à un moment donné dans ce pays assure le relais, sachant que des questions difficiles d’approvisionnement en eau ou en nourriture se poseront assez vite, même si nous ne sommes pas pour l’instant confrontés à une crise humanitaire. Je rappelle qu’une partie de cet approvisionnement provient d’Algérie : or celle-ci a bel et bien fermé ses frontières. S’agissant de ce pays, il nous appartient d’avoir un contact étroit avec ses autorités, ce qui est le cas : j’ai moi-même de bonnes relations avec mon homologue. Elles ont avec nous des intérêts objectifs communs – Mokhtar Belmokhtar, qui est intervenu chez eux, s’est probablement réfugié dans l’Adrar des Ifoghas –, mais l’armée algérienne ne peut, au titre de leur constitution, intervenir à l’extérieur. Audition des représentants des syndicats des personnels civils du ministère de la défense : Fédération des établissements et arsenaux de l’État (FEAE-CFDT) du mardi 29 janvier 2013
M. Philippe Folliot. La très grande majorité de nos circonscriptions ne comporte pas de site lié à l’armement. Par conséquent, nombre de nos concitoyens mais aussi d’élus méconnaissent les questions ayant trait à la défense, notamment du fait de la suspension du service militaire. D’où un problème de désinformation que vous soulignez à juste titre. Alors que le déficit de notre commerce extérieur avoisine les 70 milliards d’euros par an, la balance de notre défense est excédentaire de 6,5 milliards d’euros. Le secteur de la défense a donc des conséquences directes sur l’emploi. C’est pourquoi nous vous soutenons dans votre démarche.
Audition des syndicats des personnels civils du ministère de la défense : Fédération nationale des travailleurs de l’État CGT (FNTE/CGT) du mercredi 23 janvier 2013
M. Philippe Folliot. Monsieur Malenfant, vous dites que le Président de la République a choisi d’intervenir au Mali « sans véritable concertation des instances républicaines ». J’estime, pour ma part, qu’il a agi dans le cadre de ses responsabilités, dans le strict respect de la Constitution et dans le droit fil de l’action de ses prédécesseurs. Nous étions hier à Berlin, pour une séance commune du Bundestag et de l’Assemblée nationale à l’occasion du cinquantième anniversaire du traité de l’Élysée. À tout prendre, je préfère notre mode d’engagement et d’intervention, qui garantit une réelle réactivité, à celui de nos voisins d’outre-Rhin. Le ministère de la défense assume 58 % de la baisse globale des baisses d’effectifs de la fonction publique. Les personnels civils sont touchés au même titre que les militaires, peut-être même plus. Cette évolution s’inscrit dans un cadre général, certains ministères connaissant une hausse de leurs effectifs. Vos propos sur les marchés publics nous interpellent. N’hésitez pas à transmettre aux rapporteurs de la mission d’information et à nous-mêmes les documents dont vous disposez. Les souris et les claviers dont vous nous parlez sont-ils plaqués or ? La situation est d’autant plus étonnante que, sous prétexte d’économiser quelques centimes d’euros sur un produit – dans ma circonscription, il s’agit de pulls –, le ministère de la défense préfère souvent faire travailler des entreprises prétendument françaises qui sous-traitent à l’étranger.
M. Yannick Malenfant. Ces dernières années, les suppressions d’emplois civils ont été plus nombreuses et plus rapides, par rapport à ce qui était programmé, que les suppressions d’emplois militaires. Le retour à l’équilibre s’opère en ce moment. La CGT ne demande pas que les personnels civils remplacent les militaires sur tous les emplois et que les réductions d’effectifs ne portent que sur les personnels militaires. Elle souhaite toutefois que les postes à vocation civile le demeurent même s’ils ont été attribués à des militaires qu’il fallait bien reclasser en raison de la fermeture de régiments consécutive à la réforme. La gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences (GPEEC) concerne les personnels civils et militaires ; elle peut permettre de parvenir à un juste équilibre entre les uns et les autres. Aujourd’hui, il ne me semble pas normal que des militaires gèrent les RH ou la formation de personnels civils. Ils ont probablement d’autres missions à effectuer. Monsieur Chambefort, la CGT n’était pas favorable à la réforme qui a créé les bases de défense. Cela dit, en tant qu’organisation syndicale responsable, nous savons que l’on ne peut pas revenir en arrière. Nous nous prononçons donc contre une réorganisation hâtive qui ne permettrait pas d’améliorer l’existant et ne laisserait même pas le temps à la réforme d’avoir son plein effet. Madame Gosselin, les difficultés de gestion des ressources humaines à l’intérieur d’une base de défense ne sont pas liées à des problèmes de personnes. Elles apparaissent plutôt parce que tout n’est pas suffisamment défini, ce qui crée des interférences entre les diverses autorités. Les choses progressent cependant. Le ministère a ouvert de nombreux chantiers avec les organisations syndicales. L’un concerne par exemple les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Mais comment faire pour mettre en place un CHSCT sur un site quand certains personnels dépendent d’une autorité extérieure qui ne se trouve pas sur le lieu de travail ? Hormis le cas de la DGA, la gestion des personnels civils se faisait autrefois au niveau des régions avec les militaires, ce qui assurait une certaine cohérence. Aujourd’hui, elle dépend des centres ministériels de gestion, et elle est totalement autonome de la gestion des personnels militaires. Cela explique certains problèmes que l’on rencontre.
Audition des représentants des syndicats des personnels civils du ministère de la défense : l’Union nationale des syndicats autonomes/défense (UNSA/DÉFENSE) du mercredi 16 janvier 2013
M. Philippe Folliot. Je me félicite à mon tour du format de notre rencontre et de vos réponses, qui témoignent de votre sens des responsabilités. Tous les personnels, qu’ils soient civils ou militaires, participent au service public de la défense : cette réalité doit nous amener à éviter toute forme de dogmatisme. Votre position est effectivement difficile, car la réduction des personnels civils se fait au profit non seulement de personnels militaires, mais également d’externalisations vers le secteur privé, voire vers d’autres administrations. Pour le député centriste que je suis, la notion de pragmatisme doit prévaloir en la matière. Lors de l’examen de la précédente loi de programmation militaire, j’avais déposé un amendement visant à externaliser en totalité la fonction restauration. Mais peut-on laisser les militaires intervenir sur un théâtre d’opérations si leur service de restauration est assuré par une société privée ? Ce n’est pas envisageable. Il convient en la matière d’adopter une position modérée et non de chercher à définir un chiffre global.
M. Bruno Jaouen. Les personnels civils sont au service des militaires sur le terrain, nous n’avons pas d’état d’âme sur ce point.