Le projet de loi relatif à la performance de la sécurité intérieure dont l’un des volets principaux vise la lutte contre la cybercriminalité (Loppsi 2) est en discussion à l’Assemblée nationale. L’article 4 est relatif au filtrage (ou blocage) des sites internets pédopornographiques et comporte des risques non négligeables.
Tout d’abord, la formulation de la première partie de l’alinéa 3 de cet article 4 « Lorsque les nécessités de la lutte contre la diffusion des images ou des représentations de mineurs relevant de l’article 227-23 du code pénal le justifient » est à la fois trop imprécise et ouvre un champ trop vaste de la justification du filtrage. En tout état de cause, le filtrage ne doit être mis en oeuvre que dans le cas d’un constat avéré de faits répréhensibles.
Ensuite, dans la deuxième partie cet alinéa 3 de l’article 4, « l’autorité administrative notifie aux personnes mentionnées au 1 du présent I les adresses électroniques des services de communication au public en ligne contrevenant aux dispositions de cet article, auxquelles ces personnes doivent empêcher l’accès sans délai. » est à la fois ambiguë sur les obligations imposées aux FAI (= Fournisseur d’Accès Internet) et écarte le le juge du dispositif de filtrage. Or, ce n’est pas à l’administration (en l’occurence ici la police) de décider de la qualification juridique des faits. C’est le travail du juge, qui a pleine compétence pour déterminer ce qui est illégal de qui ne l’est pas.
Aussi, il est indispensable de revenir à une décision d’un juge, même saisi en référé, pour prononcer une mesure de blocage de l’accès à l’internet. Les débats sur les lois Hadopi et ceux sur la loi relative aux jeux en ligne ont montré ce chemin. Or l’article 4 de la Loppsi s’en écarte alors même que ce principe a été consacré constitutionnellement par la décision du Conseil Constitutionnel du 10 juin 2009 sur la loi Hadopi.
La loi relative à la confiance dans l’économie numérique (LCEN) de 2004 dans le I de son article 6 a institué un principe majeur que la LOPSI 2 ne respecte également pas. Il s’agit d’une déclinaison du principe de subsidiarité dans la mise en oeuvre par le juge de dispositions visant à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne : dans le cas où il n’est pas possible d’agir directement auprès de l’éditeur de ce contenu, c’est à l’hébergeur d’agir, avant que le FAI (fournisseur d’accès internet) ne soit saisi pour le faire.
Ce principe n’est donc pas respecté par l’article 4 LOPPSI 2 dans la mesure il s’adresse directement aux FAI pour bloquer un site pédo-pornographique, sans passer d’abord par l’hébergeur. Il ne s’agit pas ici de remettre en cause le fondement de l’action demandée aux FAI, y compris par une action la plus rapide possible, mais de réaffirmer que dans la chaîne des responsabilités, l’éditeur puis l’hébergeur du site concerné, devraient être les premiers dans l’obligation d’agir.
Le Rapport d’information du 23 janvier 2008 des députés Corinne Erhel et Jean Dionis du Séjour, relatif à la mise en application de la loi sur la confiance dans l’économie numérique, regrettait la mise en cause insuffisante de la responsabilité juridique des éditeurs et des hébergeurs des sites illicites, alors même que les autorités devraient se donner les moyens de mieux la faire respecter. Il serait dommageable que la LOPPSI 2 ne tienne pas compte de ce rapport d’application de la LCEN.
Enfin, nous regrettons la faiblesse du volet préventif de la loi. Il aurait été notamment judicieux d’organiser une coopération de fait entre les FAI et les hébergeurs afin de lutter efficacement contre les « contenus odieux » sur internet.
Pour Philippe Folliot et son collègue Jean Dionis du Séjour, spécialiste de la législation Internet, le filtrage doit donc rester une mesure exceptionnelle sous contrôle du juge car cette approche du filtrage de l’internet est clairement un marqueur distinctif entre les démocraties et les régimes autoritaires.