| 4 MAI 2020 |
Le mot précaution vient du latin « praecautio » qui veut dire « se tenir sur ses gardes ». Quoi de plus naturel et sage que de se tenir sur ses gardes, d’être vigilent pour soi, pour autrui, pour son environnement et pour l’environnement…
Dans notre montagne, une forme de principe de précaution était « lo biaïs », ce bon sens paysan qui faisait que l’on regardait à deux fois avant de prendre une décision, de faire quelque chose, d’avancer un argument… afin de s’assurer de la justesse du choix, de l’utilité de la mesure ou de la pertinence de la parole !
Tout être sage et raisonné se doit d’être précautionneux. Dans l’Antiquité, cela était une vertu générale qu’aujourd’hui on pourrait qualifier de prudence. Au titre de cette dernière, on peut essayer de prévenir des risques avérés, des risques prévisibles qu’ils soient liés à des aléas naturels (cyclones, tremblements de terre, catastrophes diverses…) à des aléas industriels (usines Seveso, nucléaire…) en passant par des aléas technologiques (I.A., nanotechnologies…).
Le principe de précaution, dans sa dimension moderne, lui, vaut pour des risques non pas avérés, mais hypothétiques, c’est-à-dire des risques non-confirmés scientifiquement mais qui pourraient éventuellement l’être… ou pas !
Le philosophe allemand Hans JONAS a été le premier à vulgariser cela dans son livre publié en 1979 Le principe de responsabilité, où il pose de vraies questions sur l’avenir de l’Humanité, sur les risques technologiques – et pour que celui-ci soit positif, il proposait d’abandonner le présent et l’interpersonnel au profit de l’avenir et du collectif, idées qui paradoxalement 40 ans après prennent, en un sens, un certain relief !
L’adoption de la Charte de l’environnement, et son introduction dans le préambule de la Constitution lors de la réunion du Congrès de Versailles du 28 février 2005, a donné en France une nouvelle force et légitimité à ce principe de précaution au travers de l’article 5 de ladite charte : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attribution, à la mise en œuvre de procédures d’évaluations des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ». Voilà qui est bien dit, trop bien dit du reste, à tel point que le flou de ces quelques mots a engendré un autre principe, plus grave encore : le principe du parapluie.
Conscients de ces éléments, et de ces risques, je n’avais pas voté ce texte à l’époque, car j’avais conscience qu’au nom du principe de précaution, tout le monde voudrait éviter tout risque, juridique voire judiciaire notamment, et c’est ainsi que le poison de la suspicion et de la peur du risque s’est installé.
Toute société qui refuse de prendre le moindre risque, même mesuré, ciblé, pesé, est condamnée car d’autres le feront à sa place, et elles avanceront.
Nous voyons que des pans entiers de la recherche ont déserté notre pays (génie génétique, biotechnologies…), que globalement nous reculons dans le nombre de dépôt de brevets aujourd’hui – qui seront les entreprises de demain et les emplois d’après-demain…
A l’heure où notre pays est complètement arrêté, à l’heure où une historique récession voit le jour, à l’heure où une crise économique et sociale sans précédent se profile, à l’heure où notre système éducatif est complètement perturbé, si nous devons bien entendu garder sens de la mesure et nous tenir sur nos gardes, préservons la capacité d’initiative, promouvons la prise de risque responsable et pesé, facilitons l’innovation (notamment dans la transition écologique) et, de grâce, mettons, si ce n’est en quarantaine, sous étroite surveillance… les excès du principe de précaution !
Amitiés,
Philippe FOLLIOT