Philippe FOLLIOT, Secrétaire de la Commission de la Défense Nationale et des Forces Armées, suit de très près l’engagement français dans la lutte contre Daech. Comme il l’avait exprimé au lendemain des attentats qui ont frappé la France en novembre, « notre pays doit être réaliste dans ses choix d’alliance et de modalités d’action pour lutter plus efficacement contre ce fléau que constitue Daech et ses alliés (Al Qaeda et le Front Al-Nostra…). Il en va désormais de la protection des françaises et des français. ».
Ainsi, Philippe FOLLIOT a pu interroger à ce sujet Jean-Yves LE DRIAN, Ministre de la Défense, et Pierre DE VILLIERS, Chef d’état-major des armées, lors de leur audition par la Commission Défense. Vous trouverez ci-dessous les extraits des comptes rendus correspondant :
Extrait du compte-rendu de la Commission de la Défense Nationale et des Forces Armées du 1er décembre 2015 (http://www.assemblee-nationale.fr/14/cr-cdef/15-16/c1516022.asp) :
« M. Philippe Folliot. Monsieur le ministre, sans action rapide et énergique en Libye, Daech progressera comme en Irak et en Syrie. Vous avez souligné avec raison que la solution passait par l’engagement de l’Égypte et de l’Algérie. Nos relations historiques avec l’Algérie et présentes avec l’Égypte sont fortes : la France a donc un rôle particulier à jouer, et l’intérêt de l’UE à agir s’avère grand car la Libye se situe plus près de nos côtes que ne le sont la Syrie et l’Irak. L’UE, absente diplomatiquement jusqu’à présent, agit-elle, avec la France, pour éviter que la situation irakienne et syrienne ne se reproduise en Libye ?
[…]
le ministre. Messieurs Folliot et Villaumé, nous entretenons en effet de bonnes relations avec l’Égypte, qui ne cessent de s’approfondir. J’ai ainsi rencontré cinq fois M. Abdel Fattah al-Sissi, président de ce pays. L’Égypte a une approche plus militaire que l’Algérie du conflit libyen ; l’Histoire explique cette différence, et nous devons les convaincre de prendre des initiatives communes. La mission des Nations unies recommence avec la nomination de M. Kobler, et nous devons travailler à sa réussite. Les acteurs libyens sentent que s’ils ne trouvent pas de solution, Daech la trouvera pour eux. L’organisation terroriste sera peut-être l’élément fédérateur de la réconciliation libyenne. La Turquie, le Qatar, l’Égypte, l’Algérie et le Tchad peuvent avoir une influence sur certains acteurs libyens. Il faut consentir cet effort collectif, car il n’existe pas de solution alternative. Personne n’envisage en effet que des pays européens mènent une action militaire au sol en Libye. »
Extrait du compte-rendu de la Commission de la Défense Nationale et des Forces Armées du 25 novembre 2015 (http://www.assemblee-nationale.fr/14/cr-cdef/15-16/c1516021.asp) :
« M. Philippe Folliot. C’est dans les situations difficiles qu’on reconnaît la qualité d’une institution. On ne peut que s’associer à vos propos sur la façon dont nos soldats se sont comportés.
S’agissant des opérations aériennes en Syrie et en Irak, en cas de difficultés, nous avons des commandos formés pour récupérer les pilotes. Ces éléments sont-ils mutualisés entre l’ensemble des forces de la coalition ou chaque pays récupère-t-il ses propres hommes ?
Par ailleurs, comment se passe le rassemblement des services à Balard ? Apporte-t-il un véritable plus en termes de communication, d’échange et d’interarmisation ?
Général Pierre de Villiers. Chaque question nécessiterait des développements compte tenu de leur complexité.
La Libye est le hub du terrorisme, comme l’a dit le ministre de la Défense. Daech s’est implanté en Libye de manière solide puisqu’il y a au moins 2 500 combattants autour de la région de Syrte, qui se livrent à des crucifixions publiques régulières. Il y a donc maintenant quatre Libye : la Tripolitaine, la Cyrénaïque, le Fezzan et le « Daechland ». Par ailleurs, il y a une absence de coordination des différentes démarches : la démarche contre-terroriste américaine, la démarche onusienne, la démarche européenne, avec l’opération maritime EUNAVFORMED Sophia, et d’autres démarches, à connotation plus nationale.
La France bénéficie de sa capacité autonome de renseignement pour comprendre ce qui se passe et éviter d’être surprise. Par exemple par des mouvements de Daech vers le Sud, jusqu’au nord du Niger, là où nous avons notre base avancée de Madama. Nous pensons que le temps politique et diplomatique doit aujourd’hui prévaloir sur le temps militaire. J’espère que la communauté internationale trouvera une solution permettant de mettre autour de la table la Tripolitaine et la Cyrénaïque afin d’obtenir un point d’accord pour pacifier le pays, gouverner ensemble et lutter contre Daech. Il faut observer cela avec la plus grande attention, car le reflux des « foreign fighters » pourrait passer par la Libye, le nombre de combattants de Daech dans ce pays étant en augmentation.
Quant à l’avion russe abattu hier par la Turquie, cela illustre ce que vous disiez sur la coalition, qui est diverse. Il semble que le chasseur russe ait pénétré quelques secondes dans une « dent » de terrain turc à l’intérieur du territoire syrien. J’espère qu’on évitera toute escalade : ce n’est l’intérêt de personne alors que nous avons un ennemi commun, qui est Daech. Il faut rassembler tous les pays autour d’une volonté commune et urgente : celle de la lutte contre cette organisation. C’est le discours que j’ai tenu à mon homologue russe. Les Russes ont aussi des « foreign fighters », et ils ont, comme nous, été attaqués et perdu plus de 200 personnes lors de l’attentat contre un avion civil dans le Sinaï. Cela suffit à rassembler. Toutes les énergies doivent être déployées contre Daech. Cet incident ne doit pas nous amener à vouloir résoudre immédiatement les différences d’approches structurelles, historiques, géographiques et politiques. Il faut capitaliser sur ce qui rassemble. Je suis, pour ma part, plutôt dans l’union et l’unité et contribuerai à prôner la désescalade auprès de mes homologues.
Sur le territoire national, nos soldats sont tous armés : leur chargeur est approvisionné, et il y a un témoin d’obturateur de chambre permettant d’éviter les risques de mauvaise manipulation. Cela permet de riposter, comme en OPEX. J’estime donc que nous avons adopté les bonnes mesures.
S’agissant de l’Europe, je souhaite que ses pays fournissent à la coalition, ou dans la bande sahélo-saharienne, ou au sein des missions de l’ONU, une participation à l’effort de guerre que nous menons. La France seule n’a pas vocation à être responsable de la sécurité du monde ou de l’Europe. J’espère des moyens concrets sur le terrain. Mais il faut pour cela une volonté politique : c’est le sens de l’appel du ministre de la Défense au titre de l’article 42-7 du Traité sur l’Union européenne.
La richesse de nos armées repose sur la qualité de la formation du personnel, notamment la formation initiale, toutes catégories confondues. Je rappelle qu’en dépit de cette forme de sinistrose propre à notre pays, nous sommes admirés à l’étranger et servons de modèle à bien des armées étrangères. Nous avons d’ailleurs de nombreuses demandes de formation de pays étrangers dans nos différentes écoles, mais aussi à l’École de guerre ou au Centre des hautes études militaires. Dès que la nouvelle doctrine d’emploi sur le territoire national sera clairement établie, nous organiserons de nouveaux modules. Dans toutes nos écoles, nous insistons sur l’éthique du soldat. C’est fondamental.
Au sujet du territoire national, nous devons, au-delà du principe de complémentarité que j’ai évoqué, avoir une stratégie globale de défense, dans toutes ses dimensions : protection des côtes, lutte contre les trafics, action de l’État en mer, défense aérienne, cyberdéfense, espace et action au sol avec l’opération Sentinelle, qui va évoluer. J’ajoute une dimension : celle de la protection des installations de défense.
Je pense que nous pouvons tenir dans la durée avec les nouveaux moyens que nous avons demandés. On pourrait même aller plus loin dans certains cas, mais pour certaines durées et certains types d’engagement. Cette notion de durée est centrale dans l’analyse. Il faut faire attention à cet égard à l’expérience de nos amis britanniques, qui se sont « mis dans le rouge » avec l’Irak et l’Afghanistan et continuent d’en payer le prix. C’est ma responsabilité d’y veiller, de même que la responsabilité politique est de ne pas me demander de faire des choses que je ne peux pas faire, sauf à entamer le capital en matière de maintien en condition opérationnelle et d’entretien programmé des matériels.
Nous sommes effectivement sous tension et confrontés au fait que si les moyens que vous avez votés dans la LPM, humains notamment, arrivent – nous avons quasiment recruté tous les 5 500 personnels de l’armée de terre, en améliorant même la qualité de recrutement –, il faut les former pendant six mois avant de les engager. Nous sommes dans la phase la plus difficile, entre le printemps dernier, où ont été prises les décisions, et le printemps ou l’été prochain, où nous aurons fini de former les 6 000 à 7 000 nouveaux soldats.
S’agissant de la capacité d’aller secourir les pilotes au-delà des lignes adverses s’ils venaient à s’éjecter, elle est assurée dans le cadre de la coalition par les Américains. Le porte-avions bénéficie aujourd’hui d’une équipe prévue à cet effet, de l’escadron Pyrénées de l’armée de l’air. Je souligne à cet égard la très bonne coopération entre la marine et l’armée de l’air, coopération à laquelle je tiens beaucoup. Nous avons ainsi mené une frappe avant-hier soir, dans laquelle les deux Mirage 2000 qui ont décollé de Jordanie ont rejoint les quatre Rafale et les avions de reconnaissance venus du porte-avions. Je veille donc à ce qu’un pilote français qui décolle ait la certitude d’être récupéré n’importe où si nécessaire, de la même manière qu’un soldat français engagé au sol doit avoir la certitude qu’en cas de blessure, il sera récupéré n’importe où et soigné dans les meilleures conditions au monde.
Au sujet du regroupement des services à Balard, j’en ai senti le bénéfice tout de suite pour commander les opérations. Par exemple, lors de la prise d’otages dans un hôtel de Bamako vendredi dernier, il m’a suffi de prendre l’ascenseur qui est dans mon bureau pour rejoindre une salle au sous-sol, très bien équipée et permettant de visualiser l’ensemble des données concourant à la décision, où on m’a présenté la situation de la prise d’otages avec l’image du drone en direct sur grand écran – ce que je n’avais pas boulevard Saint-Germain. Cela constitue une véritable plus-value pour la gestion des crises.
Reste que je ne mesure pas encore totalement celle d’être ensemble dans un même lieu : j’y crois beaucoup, mais cela prendra du temps. Je rappelle que nous sommes les seuls au monde, avec les Américains, à avoir cette organisation. Depuis que je reçois sur place mes homologues étrangers, ils rêvent tous d’avoir un tel dispositif à leur main – ayant des problèmes sans nom pour coordonner leurs états-majors. Ce que nous avons fait est exceptionnel, même si on a pour l’instant parfois du mal à s’orienter. (Sourires). Quand je décide de tenir une réunion de crise sur tel ou tel point, la plupart de mes collaborateurs sont là immédiatement, ce qui est beaucoup plus facile qu’avant, et il n’est pas de jour où je ne voie un chef d’état-major d’armée. Au-delà de ces améliorations, il faudra sans doute plusieurs années pour tirer tout le parti potentiel du dispositif. »