Dans le cadre d’une proposition de loi (PPL) sur les conditions de l’usage légal de la force armée par les représentants de l’ordre déposée le groupe UMP à l’Assemblée nationale, Philippe FOLLIOT est intervenu en séance afin de faire part de sa prudence d’un point de vue juridique sur ce texte tout en réaffirmant l’importance du dualisme sur lequel est fondée l’organisation des forces publiques de sécurité françaises.
(Cliquez ici pour visionner la vidéo).
Voici la retranscription intégrale de son intervention :
M. Philippe Folliot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est toujours délicat pour une société comme la nôtre, soucieuse de réglementer strictement le port et le transport des armes, d’aborder le sujet de l’usage légal de la force armée. La question de l’ouverture et de l’encadrement par notre droit de la possibilité d’utiliser une arme, fût-elle destinée à des représentants de l’autorité publique, n’est pas anodine. Elle a trait à l’essence même de notre pacte républicain, qui veut que la puissance publique dispose du monopole de la violence légitime. C’est quelque chose de particulièrement important. Nous pouvons nous féliciter de cette spécificité. S’il y a un contre-modèle, c’est bien le modèle américain, caractérisé par un usage personnel, assurément abusif, des armes à feu, avec tout ce que cela représente. Je crois que cette opinion est partagée sur l’ensemble des bancs de cette assemblée. Aucun d’entre nous ne le contestera, les policiers et les gendarmes exercent, avec un courage, un professionnalisme et une disponibilité avérés, un métier particulièrement difficile, dans des conditions souvent périlleuses. Il convient à ce titre de leur rendre l’hommage qui leur est dû. Les forces de l’ordre mettent parfois leur vie en danger pour assurer la sécurité de tous sur l’ensemble du territoire. En 2011, 14 policiers et gendarmes ont perdu la vie dans l’exercice de leurs missions, et plus de 1 000 ont été blessés. La représentation nationale se doit de rendre un hommage appuyé à leur dévouement et leur professionnalisme. Ils attendent de la société qu’elle leur accorde un cadre protecteur digne de ce nom, qui les prémunisse des dangers auxquels ils peuvent être exposés lors d’interventions opérationnelles. Nous avons tous en mémoire le drame qui s’est produit au soir du 21 avril 2012, lorsque, après avoir ouvert le feu sur un délinquant suspecté d’un vol armé, un policier fut mis en examen pour homicide volontaire.
Cette décision avait d’ailleurs donné lieu à de nombreuses manifestations de soutien de la part des forces de police, comme de l’ensemble de la population. Nous ne devons pas pour autant en tirer des conséquences hâtives, sans prendre un minimum de précautions. Ces faits démontrent avant tout que la frontière peut être bien mince, bien difficile à identifier, entre la protection des forces de l’ordre d’un côté et la sécurité collective de l’autre, entre la légitime défense et ce que l’on appelle les « bavures ». Dans quelles limites l’usage de la force armée peut-il être toléré et considéré comme acceptable ? À quelles conditions peut-on estimer qu’un acte a été commandé par la nécessité de la légitime défense, en réaction à une atteinte injustifiée ? Telles sont les questions que ce texte nous amène à nous poser et que nous devons prendre le temps d’étudier. Nos collègues, auteurs de cette proposition de loi, partent du constat suivant : le code de la défense prévoit expressément, pour les gendarmes, la possibilité de déployer, dans des conditions limitatives et après des sommations verbales, la force armée. Il énumère les situations permettant aux officiers ainsi qu’aux sous-officiers de gendarmerie de déployer la force armée, en l’absence de l’autorité judiciaire ou administrative. Les gendarmes doivent respecter les dispositions de l’article L. 2338-3 du code de la défense, qui décrit les cas dans lesquels ils peuvent utiliser leur arme, lorsque des violences ou des voies de fait sont exercées contre eux, ou lorsqu’ils sont menacés par des individus armés. À l’inverse, les policiers sont soumis au droit commun et ne peuvent recourir à la force armée qu’en cas de légitime défense. Cela est précisé à l’article 122-5 du code pénal : « N’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense. » Ils sont donc ainsi soumis aux mêmes règles que tout un chacun. Plus que de l’acte de tir, c’est de leur aptitude à discerner les conditions de la légitime défense que dépendent les poursuites dont ils peuvent faire l’objet. Le présent texte propose d’aligner les conditions d’emploi de la force armée de la police sur celles de la gendarmerie. Sur le principe, l’objectif est louable puisqu’il s’agit de donner aux forces de police les moyens nécessaires à leur défense, eu égard aux situations exceptionnelles auxquelles elles peuvent parfois avoir à faire face.
À tout prendre, cette proposition nous semble préférable à celle d’un alignement par le bas que nous avons pu entendre ici ou là, et qui consisterait à placer les gendarmes dans la même situation d’insécurité juridique – très relative mais quand même réelle – que celle où se trouvent actuellement les policiers. Pour autant, l’adoption de cette proposition de loi aurait des conséquences que nous ne pouvons pas éluder. Avant toute chose, je tiens à faire remarquer qu’un alignement des conditions d’emploi aurait pour effet d’estomper la différence, qui est pourtant essentielle, entre police et gendarmerie. À plusieurs reprises, depuis cette tribune, j’ai exprimé mon attachement au dualisme sur lequel est fondée l’organisation des forces publiques de sécurité françaises. La force publique de certains pays est organisée sur la base d’un dualisme entre des polices territoriales et une police d’État, toutes les deux civiles. La tradition française – et même méditerranéenne – repose sur un dualisme entre une force de police à statut civil et une force de police à statut militaire. J’avais d’ailleurs fait part de mes réserves, lors des débats sur la loi du 3 août 2009, quant aux conséquences d’un rapprochement trop étroit entre les deux forces de sécurité intérieure, qui sont si différentes. L’une, la police, est civile et syndiquée ; l’autre, la gendarmerie, est militaire et soumise au devoir de réserve. Il est donc primordial que la gendarmerie puisse conserver sa spécificité au regard des caractéristiques propres à la mission qui lui est dévolue. Je ne parlerai pas, bien entendu, des opérations extérieures. Mais M. le ministre a fait tout à l’heure allusion à la situation très spécifique de la Guyane et à la lutte contre l’orpaillage, qui mérite des conditions d’emploi de la force publique adaptées. Il est tout autant primordial que la gendarmerie puisse conserver son statut militaire, auquel est lié en grande partie l’usage de la force armée.
En outre, contrairement à ce qu’évoquent les auteurs de la proposition de loi, la différence de réglementation entre gendarmes et policiers ne place pas ces derniers, dans les faits, dans des situations réellement plus difficiles. Précisons, par ailleurs, que cette proposition de loi nous amènera inévitablement, un jour ou l’autre, à aborder le cas de la police municipale armée. Or, nous n’avons pas encore le recul nécessaire, et les conditions de formation des policiers municipaux ne sont pas les mêmes que celles des effectifs de la police nationale.
Pour le groupe UDI, l’urgence serait plutôt de garantir aux forces de police une formation adéquate, essentiellement fondée sur l’analyse des situations et sur l’apprentissage de réponses adaptées. C’est ainsi que nous pourrons améliorer la capacité des fonctionnaires à faire face aux réalités opérationnelles. Lorsqu’il s’agit de légiférer sur des questions aussi fondamentales qui touchent à notre sécurité, nous devons éviter plusieurs écueils : celui qui consisterait à créer un sentiment d’impunité tant chez les forces de l’ordre que chez les délinquants, et celui qui consisterait à banaliser l’usage des armes à feu alors même que notre législation a su l’encadrer strictement, à l’image de la loi récemment adoptée relative à l’établissement d’un contrôle simplifié et préventif des armes modernes. Les actes de tir doivent donc rester confinés à des situations exceptionnelles. L’équilibre est fragile mais il est pourtant nécessaire car c’est de lui que dépend le lien de confiance entre nos forces de sécurité et la population.
Mes chers collègues, parce que voter ce texte reviendrait à mettre en cause les spécificités de la gendarmerie nationale, auxquelles nous sommes très attachés ; parce qu’un sujet aussi sensible requiert que nous puissions prendre tout le temps – il s’agit notamment d’attendre la publication des rapports qui ont été commandés – nécessaire à l’établissement d’un juste équilibre entre la protection des forces de l’ordre, et celle de l’ensemble de nos concitoyens, le groupe UDI s’abstiendra sur cette proposition de loi.