En tant que porte parole du groupe Nouveau Centre, Philippe FOLLIOT est intervenu récemment à l’Assemblée Nationale sur une proposition de loi intitulée “Urbanité réussie de jour comme de nuit”. Ayant trait au vivre ensemble, les questions d’urbanisme sont à la fois techniques, complexes et passionnantes.
Cette proposition de loi ayant été jugée trop lourde de conséquences sur le plan juridique par le parlement, elle a finalement été rejetée par 265 voix contre 162 .
Ci-dessous, l’intervention du Député du Tarn :
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Philippe Folliot.
M. Philippe Folliot. Monsieur le président, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, madame la rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république, en proposant de modifier la réglementation relative à l’occupation du domaine public, nos collègues socialistes nous offrent l’occasion d’aborder le débat sur les modalités de mise en œuvre d’un partage équilibré des usages des espaces publics.
L’aménagement de l’espace public est un sujet qui intéresse l’ensemble de nos concitoyens, car bon nombre de ceux qui vivent en ville sont concernés, dans leur vie quotidienne, par les problèmes que peut engendrer la cohabitation des différents acteurs de la ville.
En effet, la ville doit être un lieu de mixité où se côtoient différents acteurs et où s’articule une multiplicité d’usages : circulation piétonne, automobile, stationnement, activités de loisirs et de détente, entretien et maintenance des espaces publics, services publics, quartiers résidentiels, zones d’activité commerciales, touristiques et culturelles, etc
Ce sont deux conceptions de la ville et de l’urbanité qui s’opposent. Le premier modèle, qui tend à devenir dominant, est celui d’une ville où se côtoient des quartiers homogènes – quartiers résidentiels, zones d’activités, zones de loisirs, zones industrielles, zones vertes –, avec toutes les difficultés que cela implique en termes de multiplication des déplacements nécessaires pour se rendre de son logement à son lieu de travail et aux lieux de loisirs. Le second modèle correspond davantage à une conception « historique » de la ville. Le meilleur exemple que je puisse en donner est celui de la bonne ville de Castres – que je vous incite à visiter, monsieur le ministre, madame la rapporteur, en particulier le quartier historique des maisons sur l’Agout, qui représente un condensé de ce que pouvait être la ville à la fin du Moyen Âge. Ce quartier est composé d’immeubles reposant sur des caves en pierre qui s’ouvrent directement sur l’eau de l’Agout, et dont chaque étage était affecté à un usage particulier. Le sous-sol était occupé par des activités artisanales de nettoyage des peaux, cuirs et laines ; au niveau de la rue se trouvaient des échoppes abritant des commerces, des auberges et des restaurants ; au premier étage se trouvait le logement du maître artisan, et au deuxième étage celui des ouvriers.
Aujourd’hui, nous devons nous demander dans quelle direction nous voulons aller : soit vers le schéma « sectorisé » que j’ai décrit en premier, soit vers des modèles conçus sur le principe de la mixité – qu’il s’agisse de mixité sociale ou d’activités –, où la ville est un lieu de vie continue, d’échanges, de dialogue et non la simple juxtaposition de lieux qui vivront beaucoup à certaines heures du jour ou de la nuit, et resteront complètement déserts à d’autres moments.
La ville, c’est également un espace en permanente mutation, comme en témoigne, par exemple, l’évolution des habitudes liées à la modification de la réglementation sur l’usage du tabac, avec les problèmes que cela peut générer en termes d’occupation des trottoirs, des terrasses, des devants d’immeubles. C’est également tout ce qui a trait au développement des infrastructures de transport, lié à la sectorisation des villes, ainsi que l’émergence de nouveaux modes de vie et lieux de divertissement.
Au regard de ces éléments, la mise en œuvre d’une urbanité réussie consiste à créer les conditions d’un savoir-vivre ensemble, en garantissant un partage équilibré de l’espace public pour tous. À ce titre, la proposition de loi soumise au débat de ce jour vise à modifier, d’une part, la réglementation relative à l’occupation du domaine public, d’autre part, le régime juridique applicable aux établissements à vocation nocturne.
Les intentions de l’auteure de la proposition de loi sont louables, puisque ce texte a vocation à accompagner les évolutions de nos villes et à établir des règles permettant la bonne cohabitation en ville, de jour comme de nuit, de l’habitat et des activités économiques et commerciales. Cependant, le groupe Nouveau Centre et apparentés n’est pas convaincu par les moyens proposés pour mettre en œuvre une urbanité réussie.
En premier lieu, la proposition de loi vise à donner davantage de pouvoirs de sanction aux maires ainsi qu’au conseil municipal en cas d’infractions relatives aux autorisations de terrasses. Or, c’est nier la potentialité du dispositif existant. Certes, la multiplication des terrasses de café est un phénomène à prendre en compte, en ce qu’elle représente un facteur de « vivre ensemble », de lien social, de rencontres conviviales, voire festives, donc un moyen de lutte contre la solitude, qui est certainement le mal de notre monde moderne. Il ne faut non plus nier l’impact économique de ce secteur d’activité, qui génère plusieurs dizaines de milliers d’emplois.
Cependant, l’occupation commerciale illégale de la voie publique fait déjà l’objet d’une réglementation, d’ailleurs récemment renforcée par la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure. En l’état actuel du droit, l’occupation commerciale légale de la voie publique est soumise à autorisation. Le code général des collectivités territoriales donne compétence au maire pour attribuer des permis de stationnement, sous réserve que cette autorisation n’entraîne aucune gêne pour la circulation et la liberté du commerce.
Ces autorisations d’occupation du domaine public sont précaires et révocables. L’autorité municipale a donc compétence pour la retirer au titulaire d’une autorisation qui ne respecterait pas les conditions d’occupation. En l’absence d’autorisation ou en cas de méconnaissance de la réglementation, des dispositifs sont prévus : une contravention de police ou une condamnation au paiement d’une amende de cinquième classe peut être prononcée.
Un certain nombre de dispositions pénales peuvent être appliquées en cas d’atteinte à l’intégrité des voies publiques ou d’exercice illicite d’une profession. Le tribunal de police peut ensuite être saisi par le parquet, ou à la requête des directeurs départementaux de l’équipement. Au regard de ces mesures, le dispositif juridique existant semble tout à fait adapté et suffisant pour assurer le respect de la régulation du commerce sur la voie publique. J’ajouterai que le contenu de ce texte apparaît en contradiction avec les mesures de simplification du droit actuellement débattues à l’Assemblée.
Ensuite, l’article 2 de la proposition de loi prévoit que le conseil municipal pourra fixer un barème d’astreintes graduées, préalablement au prononcé de toute astreinte. Or, il nous semble que cette compétence doit rester sous la seule responsabilité des tribunaux. Il n’est pas du rôle du conseil municipal de définir le montant d’une astreinte.
Enfin, la proposition de loi vise à modifier les dispositions relatives aux établissements nocturnes, en se basant sur l’exemple des métropoles européennes, notamment Londres, Barcelone et Berlin. Le développement de la vie nocturne est, nous en convenons, un élément indispensable de la politique de la ville. En effet, les activités nocturnes sont, au même titre que les commerces et services de jour, le reflet du rayonnement d’une ville, et participent à son attractivité et à sa vitalité. Cependant, la mise en œuvre d’une sanction en cas d’abus de recours aux numéros d’urgence pour tapage nocturne nous semble inappropriée. Cette mesure risque de dissuader les habitants d’utiliser ces numéros d’urgence. Or, la tranquillité des riverains est un droit, et à cet égard, il nous paraît important de privilégier les moyens de conciliation au cas par cas, lorsque surviennent des conflits d’usage et de voisinage. Si cette mesure était adoptée, il ne faudrait pas qu’elle ait pour effet d’autoriser la tenue d’animations musicales et culturelles en tous genres, au profit d’une certaine population, mais au détriment des riverains. À ce titre, il nous semble que la proposition de loi insiste beaucoup sur les vertus des activités commerciales, ce qui est sans doute justifié. Toutefois, il faut également prendre en compte les nuisances auxquelles sont exposés les riverains.
Pour conclure, l’amélioration du cadre de vie, l’établissement d’un meilleur partage des espaces publics par les habitants et la dynamisation commerciale sont des données importantes qui nous concernent tous. Cependant, les moyens qui sont mis à notre disposition par la législation pour réguler le commerce sur la voie publique sont suffisants : il convient simplement de mieux utiliser le dispositif juridique existant. Pour nous, centristes, dans le contexte de crise actuel, il n’est pas nécessaire d’alourdir la réglementation relative à l’occupation de l’espace public. Il est préférable de privilégier les moyens de médiation, qu’il appartient aux élus locaux de développer – comme vous l’avez fait à Rueil-Malmaison, monsieur le ministre. Pour les raisons que j’ai exposées, le groupe Nouveau Centre et apparentés votera contre cette proposition de loi.