Lundi 16 décembre dernier, lors de la deuxième lecture de projet de loi consommation, Philippe FOLLIOT est intervenu à plusieurs reprises en séance sur l’article 17 quater, relatif la vente de lunettes et de lentilles sur Internet. Il s’est opposé à cette mesure en expliquant que le commerce en ligne devrait être une continuité du commerce traditionnel et classique, la banalisation de la vente de certains produits sur Internet n’est pas acceptable. Dans un souci de santé publique, il s’oppose au fait de se diriger tout le temps vers une libéralisation à tous crins et à tout niveau. De plus l’application de cette mesure va accentuer les disparités entre professionnels et notamment désavantager les plus fragiles d’entre eux, notamment implantés en secteur rural, qui devront en payer les conséquences. Cette mesure oppose une fois de plus le milieu rural, et nos villes moyennes, aux grandes agglomérations qui seront moins impactées par une telle mesure.
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Monsieur Philippe FOLLIOT. Il s’agit d’un sujet important. Il m’inspire une réflexion : j’ai en mémoire les débats que nous avions il y a trois ans au sein de cet hémicycle sur un texte qui n’a rien à voir a priori avec celui-ci, mais qui s’y rapporte à certains égards. Il s’agit du texte autorisant les jeux en ligne. La majorité et l’opposition n’étaient pas les mêmes, et j’avais pris la parole à l’époque pour dire tous les risques que ce texte de généralisation pouvait receler, notamment au regard du fait qu’une société créée ex nihilo pouvait se lancer dans les jeux en ligne. Il ne me paraissait pas normal de ne pas réserver cette pratique aux casinos, qui sont formés, ont les autorisations et un certain nombre d’obligations notamment concernant les phénomènes addictifs au jeu. L’opposition de l’époque, socialiste, m’avait dit partager complètement ces arguments, car le commerce en ligne devait être une continuité du commerce traditionnel et classique. Et aujourd’hui, quelle n’est pas notre surprise de voir que ce texte va offrir un certain nombre de possibilités à l’e-commerce, mais sans les mêmes garanties que celles qui existent dans le réseau classique des lunetiers opticiens ! Ces derniers se trouvent dans une situation assez complexe, entre le développement d’un réseau de commercialisation lié au système mutualiste, qui capte un certain nombre d’achats, et d’un autre côté un certain nombre de mesures telles que celle-ci, qui pourront avoir des conséquences sur leur activité. Deux actes doivent être distingués : le primo achat de lunettes et de lentilles et le renouvellement – et encore la vue n’est-elle pas forcément stable, elle évolue. Connaissant les difficultés qui existent par ailleurs du fait du faible nombre de médecins oculistes dans notre pays, un certain nombre d’actes qui étaient de leur ressort pourraient peut-être, un jour, pour des raisons de santé publique, être réalisés par des professionnels dûment formés tels que les lunetiers opticiens. Cela nous ramène au sujet du maillage territorial, qui m’est cher. Bien sûr, les grands magasins de lunetiers opticiens des centres villes et de certains quartiers dynamiques n’auront pas trop à souffrir, et encore, mais ceux qui se trouvent au cœur de notre milieu rural pourraient rapidement se trouver en situation délicate. Nous sommes ici face à nos contradictions, car ce qui est vrai dans ce cas vaut aussi pour le réseau des libraires et bien d’autres. Le développement de l’e-commerce est un fait de société, mais certains produits ne sont pas banalisables comme d’autres. Tout ce qui a trait à l’optique est tout de même très important. Monsieur le ministre, vous avez certainement une très bonne vue, mais je crois qu’il est essentiel de tenir compte de la spécificité de ce produit. Comme l’a dit mon collègue Damien ABAD tout à l’heure, le fait de se diriger tout le temps vers une libéralisation à tous crins, à tout niveau, est choquant et surprenant, surtout venant de vous, monsieur le ministre. La Constitution prévoit qu’avant de voter un texte, il faut une étude d’impact. Et nous n’en avons pas, nous ne connaissons pas les conséquences que cette mesure pourrait avoir sur le réseau des lunetiers opticiens, mais aussi et surtout toute la filière qu’il y a derrière. Car si l’objectif était de faire en sorte que tout ce qui est fabriqué en France puisse sortir gagnant de cela, nous pourrions en discuter. Mais nous savons toutes et tous au sein de cette Assemblée que c’est le contraire qui risque de se passer, qu’il y aura immanquablement une progression des importations qui fragilisera d’autant nos industriels, qu’ils soient fabricants de verre, de lunettes, de lentilles ou de tous les produits qui les accompagnent. Cela mérite notre attention et c’est pourquoi j’aimerais que le ministre nous précise quelque peu les conséquences que cette mesure pourrait avoir.
Monsieur Philippe FOLLIOT. Monsieur le ministre, je vous rassure, les Castrais n’ont pas la vue plus basse qu’ailleurs. Au regard de vos propos et de ceux du rapporteur, il me semble que certains points méritent réflexion. Tout d’abord, ce terme de « rente » est choquant et peu adapté. Vous stigmatisez une profession ! Vous pouvez vous rattraper comme vous le souhaitez, mais on ne peut pas dire cela.
Deuxièmement, l’application de cette mesure va accentuer les disparités entre professionnels. Pour ceux qui sont sur les Champs-Élysées, elle ne changera quasiment rien. Par contre, les opticiens-lunetiers, peut-être pas ceux de Castres, mais à Lacaune, à Alban ou à Brassac, pour ne citer qu’eux, vont disparaître dans les mois qui viennent. Conséquence ? Les habitants de Lacaune devront faire quatre-vingts kilomètres pour aller à Albi ou soixante kilomètres pour aller à Castres, afin de changer leurs lunettes. Quant à ceux qui ont une connexion internet, ce qui est loin d’être le cas de tous, ils seront incités à passer commande par ce biais. Soit, si c’est ce que vous souhaitez, mais ce modèle n’est assurément pas celui que nous voulons. Je regrette que vous preniez une mesure qui s’appliquera uniformément, aussi bien pour les grands magasins d’opticiens-lunetiers des centres villes et des grandes agglomérations que pour les plus fragiles d’entre eux, implantés en secteur rural, qui devront en payer les conséquences, même si vous essayez de les cacher.
Troisièmement, vous évoquez la logique du marché, et je vous entends bien. Toutefois, vos propos, monsieur le ministre, concernant la régulation d’une activité qui se fait sur internet, sont, mot pour mot, ceux que tenait votre prédécesseur au sujet de la légalisation des jeux en ligne. Lui aussi disait que les jeux en ligne existant déjà, il fallait les légaliser. L’opposition de l’époque, monsieur le ministre, c’est-à-dire vos amis politiques, critiquaient vertement ce texte. Je crains que nous ne nous trouvions dans un cadre analogue.
Quatrièmement, vous annoncez des chiffres, monsieur le ministre. Mais notre collègue François VANNSON, qui est un grand professionnel du secteur de l’optique-lunetterie, a également donné un certain nombre de chiffres. Il est important que nous obtenions de nouvelles précisions afin de pouvoir disposer d’éléments et d’arguments réels. De plus, pour les plus fragiles et les plus démunis, qui ont besoin d’une correction de la vue, se pose aussi le problème de l’accès aux lunettes en dehors des cadres et des schémas traditionnels. Enfin, puisque vous citiez Castres, tout à l’heure, monsieur le ministre, sachez qu’il y a dans cette ville le lycée Anne Veaute, qui propose une filière optique-lunetterie. Allez-vous rencontrer le ministre de l’éducation nationale pour lui demander de fermer cette filière ou tout au moins d’en limiter l’accès par un numerus clausus ? Ne me dites pas que vous allez développer le marché par le biais d’internet ! Vous savez très bien comment cela fonctionne ! Internet a détruit des emplois dans de nombreux secteurs. Ce texte ne sera pas sans conséquences sur la formation et il ne faut pas les négliger. Des jeunes ont choisi cette filière, parce qu’on leur a dit qu’il y avait des perspectives de croissance et de développement. Or, ils risquent de se retrouver demain face à un retournement de situation et de conjoncture, en possession d’un diplôme qui ne correspondra plus aux besoins du marché. Il était important de le signaler.