Ce mardi 25 février 2014, Philippe FOLLIOT est intervenu au nom du Groupe UDI, à la tribune de l’Assemblée nationale, sur la prolongation de l’intervention des forces françaises en Centrafrique, en application de l’article 35, alinéa 3, de la Constitution. Après avoir rendu hommage aux soldats français, et notamment aux “volontaires du 8”, il a rappelé la situation de chaos dans laquelle se trouve ce territoire, suite à son déplacement à Bangui la semaine dernière, et a annoncé qu’il voterait cette prolongation tout en réaffirmant certaines conditions comme un engagement plus fort de l’Europe et de l’ONU.
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Philippe FOLLIOT. Monsieur le Président, Monsieur le Premier ministre, Mesdames et Messieurs les ministres, Mes chers collègues,
Je m’exprime au nom du groupe UDI et de notre président Jean-Louis Borloo. Le Gouvernement nous demande aujourd’hui de voter l’autorisation de la prolongation de l’intervention des forces française en Centrafrique, comme nous l’avions fait il y a 10 mois pour le Mali. Mais permettez-moi, avant toute chose, de souligner l’engagement de nos hommes sur place qui une fois de plus, de par la qualité de leur action, font honneur aux armes de la France. Dans un contexte particulièrement difficile, bien différent de celui du Mali car avec aucun adversaire clairement identifié, c’est une mission particulièrement difficile qu’ils ont a assumer sur place. Au premier rang des troupes sur place, il y a la 11ème brigade parachutiste et plus particulièrement le 8ème RIPMa de ma chère ville de Castres qui, dès le début du conflit, a une fois encore payé un lourd tribu. Je veux saluer ici la mémoire des soldats Antoine Le Quinio et Nicolas Vokaer. Et celle du caporal Damien Dolet, mort dimanche dernier, qui appartenait au régiment d’infanterie de chars de marine (RICM) de Poitiers.
L’engagement de l’armée française en République centrafricaine aux côtés des forces africaines de la MISCA, conformément à la résolution 2121 du Conseil de sécurité de l’ONU, était une décision extrêmement lourde et grave. Il était impératif et urgent d’intervenir. C’était une obligation morale. C’était une nécessité humanitaire. C’était un choix qui a fait honneur à la France, parce qu’il était conforme aux valeurs universelles de notre pays. De cela, nous avions pleine conscience et nous l’avions dit, avec la volonté de soutenir cette décision et de l’éclairer sur une route que nous savions longue et difficile.
Mes chers Collègues,
La République centrafricaine est aujourd’hui plongée dans le plus sombre des chaos. L’Etat n’a plus de consistance. Et, en vérité, il n’y a plus d’Etat : les fonctionnaires ne sont plus payés depuis cinq mois, la justice ne fonctionne pas, les prisons sont fermées. L’armée compte moins de 10 000 hommes, dont aucun ne sont opérationnels. Sur Bangui, on compte 6 500 hommes, en uniformes disparates et sans armes, ce qui démontre l’état de déliquescence des forces de sécurité dans le pays. La Centrafrique est un « État failli », qui ne parvient plus à assurer ses missions essentielles, n’exerce plus de contrôle sur des parties significatives de son territoire et connaît une crise humanitaire intense :
– près d’un million de personnes déplacées sur l’ensemble du territoire dont plus de 50 000 pour Bangui seule, pour l’essentiel massés près de l’aéroport.
– plus de 200 000 personnes ont quitté le territoire centrafricain pour trouver asile sur le sol des Etats voisins.
Le long des routes cahoteuses du pays, villages désertés et maisons brûlées témoignent des atrocités récentes et de la crainte qu’elles suscitent. Sur les sites de déplacés surpeuplés, les besoins en vivres et en médicaments sont criants. C’est aujourd’hui la moitié de la population, soit 2 millions et demi de personnes, qui a besoin d’une assistance humanitaire d’urgence. Et plus rien ne semble entraver une tornade effrayante de violences communautaires et inter-religieuses : pillages, agressions et meurtres dont les premières victimes sont les plus fragiles. C’est le règne des milices. Ce sont des massacres perpétués avec l’aveuglement de la plus épouvantable sauvagerie, de la plus impitoyable envie de vengeance. C’est la loi du Talion et des règlements de compte, qui prennent notamment pour cible les citoyens centrafricains de confession musulmane, majoritairement investis dans le commerce, devenus des boucs émissaires et les victimes expiatoires des actions de terreur menées par les ex-Seleka de mars à décembre 2013. Il y a quelques jours, un rapport d’Amnesty international dénonçait un véritable nettoyage ethnique. Toutefois, on peut penser que les motivations d’ordre crapuleuses et politiques sont au moins aussi importantes que la spirale effrayante des violences communautaires. Nous voilà donc plus que jamais face à notre devoir, c’est-à-dire cette vérité supérieure que la difficulté révèle, cette universalité au service de la vie qui nous conduit à risquer d’autres vies. C’est là profondément la grandeur de la France que de faire du droit et de la force le rempart contre la barbarie. Et c’est la grandeur de nos 2 000 soldats de la force Sangaris d’incarner cette vocation universelle propre à la France. Une fois encore, je veux saluer fraternellement, chacune et chacun d’entre eux. Et nous saluons également la constitution du nouveau Gouvernement de transition et la détermination de la Présidente, Madame Catherine Samba-Panza. Cette ancienne maire de Bangui, devenue le 23 janvier Chef de l’État de transition, chrétienne parlant l’arabe et militante des droits des femmes, apparaît comme un espoir. Lors de notre rencontre lundi dernier, de par le volontarisme qui la caractérise et sa ferme détermination ainsi que celle des membres de son gouvernement, elle nous a favorablement impressionnés.
Pour autant, est-il bien raisonnable d’évoquer la tenue d’élection officiellement en février 2015, alors que ni les forces politiques, ni les fichiers électoraux, ni même un recensement n’existent ? Les réalités sont là et l’excès de mots se heurte à l’insuffisance des moyens. Il faut bien admettre que l’ampleur de la situation sur place a été sous-estimée, les forces militaires dépêchées sur place sont notoirement insuffisantes : 2 000 français et 6 000 africains de la MISCA, alors que les experts évaluent le besoin à 30 000 soldats pour stabiliser le pays. La tâche de nos soldats se révèle bien plus complexe que nous ne l’avions imaginée, et cette opération n’a rien à voir avec celle engagée au Mali. Notre armée se trouve dans une situation de plus en plus intenable. Trop peu nombreux, nos soldats essayent, avec leurs moyens d’apaiser, un conflit aux multiples facettes, sans adversaire clairement identifié et face à une situation très versatile où le soutien aujourd’hui peut devenir l’adversaire de demain et vice-versa.
Il faut bien l’admettre, Monsieur le Premier Ministre cette intervention s’inscrira dans la durée, contrairement à ce que nous avait dit le Président de la République en engageant les forces françaises en décembre dernier. Et si l’objectif militaire est partiellement atteint, du moins à Bangui, ce n’est pas le cas, et loin s’en faut, dans le reste du pays. Souvenez-vous, Monsieur le Premier Ministre, des propos de Jean-Louis Borloo ici même il y a quatre mois, vous enjoignant de responsabiliser les Etats voisins et l’Union Africaine, de mobiliser l’Europe et de rassembler la communauté internationale pour que le calme revienne rapidement et durablement dans cette partie de l’Afrique. Malheureusement, comme au Mali, le gouvernement français se trouve à faire cavalier seul alors qu’en 2008, par exemple, l’intervention française au Tchad s’était bâtie au sein de l’Eufor Tchad-RCA avec 12 contingents européens, grâce aux efforts du Ministre de la Défense,Hervé Morin. Vous êtes restés sourds à ce conseil et pas assez sensibles aux leçons de cette expérience.
Bien sûr, nous nous réjouissons de l’envoi d’une force européenne, initialement de 500 hommes, portée à 1000 , contingentés à une seule présence statique de protection de l’aéroport de Bangui et de certains quartiers. Mais un acte politique fort, dans une opération de cette nature, ne saurait être seulement un acte symbolique tel que celui-ci. D’autant que cette force serait pour le moment composée pour grande partie de Français, et de nos amisEstoniens, Géorgiens et de quelques éléments roumains et polonais. Tous les grands pays européens en sont absents. L’Europe en réalité ne vous suit pas.
Oui, nous avons un devoir moral pour ces vies qu’un danger de mort guette partout en Centrafrique. Nous avons ce devoir aussi parce qu’il est évident que la reconstruction de ce pays nécessitera des années de mobilisation. La France a une vocation universelle. Mais elle n’est pas une puissance universelle. Elle n’a pas vocation à compenser l’impuissance internationale à elle seule. Elle a vocation à susciter l’élan collectif des Nations du monde. La grande décision d’un grand pays comme la France, c’est le partage de la décision.
Nous en appelons donc à votre sens des responsabilités, Monsieur le Premier Ministre.
Lors d’une question d’actualité que j’ai posée en décembre, le j’avais déjà été le premier a demander au nom du Groupe UDI l’envoi de forces de gendarmerie européenne. Nous nous réjouissons d’avoir été entendus en la matière car il n’a échappé à personne que la nature même de nombre d’opérations sont de type maintien de l’ordre autant que militaire. Il faut également prendre en compte le coût des OPEX, en temps de crise. Demandez à nouveau la création d’un fonds européen d’opérations extérieures pour des pays qui n’engagent pas d’hommes. C’était une des suggestions de Jean-Louis Borloo en décembre dernier, et une des 18 propositions du programme défense UDI. C’est nécessaire. Faites-le. Et puis, au-delà du nécessaire, contribuez dès maintenant au souhaitable. La République centrafricaine est une zone grise aujourd’hui. Aucune sortie de crise et solution durable ne pourra être trouvée sans une réelle mobilisation des Etats voisins qui pour certains, de par le passé, ont trop souvent considéré la Centrafrique comme le ventre mou de la région au sein duquel ils ont exporté leurs propres problèmes, intérêts et contradictions intérieures. La Centrafrique peut devenir un grand espace de promesse demain. Cette promesse a besoin de lumière pour se révéler. Voilà pourquoi, nous sommes là-bas pour très longtemps. Il faut le dire clairement. On ne reconstruit pas un pays, tant que les haines ne se sont pas apaisées. On ne reconstruit pas un pays, qui n’a pas reconstitué les principes et les moyens de son fonctionnement. On ne reconstruit pas un pays, tant qu’il n’a pas réussi à remettre sur pied un Etat, une administration et une armée. On ne reconstruit pas un pays, qui ne dispose pas du préalable le plus élémentaire de son développement, l’énergie.
Un des problèmes majeurs de la Centrafrique, c’est en effet son très faible accès à l’énergie : 3 % de la population. Et ce sont seulement 16 000 personnes qui sont abonnées à l’électricité pour quatre millions d’habitants. Il manque la lumière au cœur de l’Afrique. Sans lumière, il n’y a pas de redressement économique possible. Le développement des énergies renouvelables en Afrique est un exemple parmi tant d’autres des perspectives et possibilités qui s’ouvrent pour ce continent. Dès que l’Afrique aura accès à l’énergie à 100 %, elle constituera sans nul doute le principal relais de croissance en Europe. A nous de lui donner l’impulsion qui lui manque aujourd’hui. Bref, ce pays va maintenant avoir besoin de moyens supplémentaires, financiers et matériels, et d’aide ainsi que d’encadrement pour s’assurer de la bonne reconstruction de l’administration et du bon déroulement des futures élections.
Alors, nous vous le répétons. Et nous le dirons encore si cela est nécessaire. Au-delà du Mali, au-delà de la Centrafrique, le Gouvernement doit proposer à l’Europe un grand plan de solidarité pour l’Afrique, au niveau économique, énergétique, vivrier, agricole, éducatif. Car rien ne sera durable sans une réelle politique pour l’Afrique. Ce gigantesque continent, notre voisin, de 2 milliards d’habitants en 2020, mérite une stratégie globale, dépassant les plans d’aide que nous lui accordions, ponctuellement, jusqu’à aujourd’hui. Nous le savons : l’Afrique est notre plus grand danger comme notre plus grande chance. Le danger est devant nos yeux lorsque nous nous engageons au Mali, pour mettre un terme à l’agression de terroristes djihadistes, menaçant de détruire ce pays et de faire basculer la région toute entière dans le fanatisme. Le danger est également devant nous lorsque nous combattons pour défendre les populations de la Centrafrique et éviter que ce pays ne reste une zone de non-droit. Mais, nous devons également être conscients de la chance exceptionnelle que représente notre voisin africain : des forêts intactes, un formidable potentiel en matière d’énergies renouvelables, une population jeune… La sécurisation de l’Europe passe par la sécurisation de l’Afrique toute entière. Notre futur dépend également de son développement équilibré. Le développement durable de la Centrafrique est la condition sine qua non de son relèvement. Mais regardons plus loin : cela doit constituer le point de départ d’un plan global en faveur de l’Afrique.
Mesdames, Messieurs les Députés, mes chers collègues,
Nous pensons que la France doit être le pays des réconciliations pour elle-même d’abord, mais aussi pour les autres. C’est la vocation de la République, cette République laïque qui est parvenue à surmonter toutes ses tensions intimes par une volonté féroce de préserver à chaque individu sa liberté de conscience. C’est cela le miracle laïc, dont tant de pays aujourd’hui aux prises avec les fanatismes et les tensions interculturelles pourraient utilement s’inspirer. Oui, la France doit être prête à servir la paix et la réconciliation en dehors de tout intérêt économique de courte vue. C’est le préalable à tous les plus beaux projets avec l’Afrique, qui ne sont pas seulement économiques, mais avant tout humains. Le lien fraternel qui nous unit à ce merveilleux continent, nous devons en faire un fil d’Ariane tendu vers l’avenir. Le message de la France, c’est celui de la fraternité qui construit, de la peur qui en s’éloignant, redonne à la vie tous ses droits. Nous n’y parviendrons pas seuls. Et c’est en soi la force de ce message de réconciliation d’un peuple avec lui-même et des pays européens entre eux. Comprenez la force de l’exemple que nous pourrions ainsi donner au monde entier. Alors, oui, le Groupe UDI votera en faveur de la prolongation de l’opération Sangaris en Centrafrique, mais sous certaines conditions :
Le Gouvernement doit dire très clairement que ce n’est pas à la France de porter seule le fardeau de l’impuissance internationale. Ce n’est pas à la France d’être en première ligne sur toutes les crises qui parcourent le continent africain.
Le Gouvernement doit dire très clairement aux Français que la reconstruction de la Centrafrique va durer des années, avant d’aboutir à un semblant d’Etat et de stabilité. Ce n’est pas à la France d’engager une telle opération, seule. L’Europe doit véritablement s’engager. L‘ONU doit assumer sa responsabilité de protéger et s’en donner les moyens. En cela, nous demandons officiellement et solennellement à ce qu’une nouvelle résolution de l’ONU soit votée, afin de déployer au plus vite des casques bleus pour une force conséquente d’imposition de la paix « sous chapitre 7 » de la Charte des Nations Unies.
Enfin, au-delà de ces considérations sécuritaires et immédiates, il faut très clairement que le Gouvernement s’engage à promouvoir un véritable plan de développement pour l’Afrique, et cela avec tous ses partenaires africains et européens. Oui, la France, comme elle l’a fait pour elle-même jadis, peut espérer que de la réconciliation naisse la prospérité, car l’Afrique s’éveille aujourd’hui.
A l’aune des différentes commémorations des deux dernières guerres mondiales, n’oublions pas que l’Afrique a apporté son tribu à la paix en Europe.